- Page de départ ›
- Tri-articulation ›
- Articles et essais ›
- Details
La tentative de Peter Bierl de mécomprendre la triarticulation sociale
Traduction et surlignements F. Germani Cet article est une réaction à la vidéo de Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique? (1) La vidéo a été publiée sur différentes plates-formes Internet dans le cadre de la campagne 'beuys behind the scenes' à l'occasion du 100e anniversaire de Beuys. Dans ce court clip, Bierl fait plusieurs affirmations sur les conceptions politiques de Rudolf Steiner, ainsi que sur les impulsions de création et les contenus de la triarticulation, sans pour autant citer de source, ce qui rend la vérification très pénible. Je vais donc essayer de rattraper le travail de Peter Bierl sur les sources et de vérifier la validité des affirmations que j'ai pu trouver. |
|||||||||||||||||
Je me limiterai autant que possible aux affirmations de Bierl concernant la triarticulation sociale de Steiner, car je ne dispose pas des connaissances nécessaires pour vérifier les affirmations de Beuys et de Schmund sans avoir recours aux sources. Peter Bierl est auteur de livres et journaliste indépendant. Il rédige notamment des articles pour le Süddeutsche Zeitung. Dans ses propres publications, il traite principalement de thèmes liés au socialisme et à l'environnement et critique les influences politiques de droite sur ces mouvements. Ce faisant, il s'en prend aussi, à tort je pense, à l'anthroposophie. |
|||||||||||||||||
Wilson, Steiner et la démocratie |
|||||||||||||||||
Quel était le rapport de Rudolf Steiner à la démocratie et quel rôle joue-t-elle dans la triarticulation sociale qu'il a découverte ? Si nous pouvons faire confiance à Peter Bierl, la réponse est très claire : Steiner rejetait la démocratie. (2) Il aurait préféré qu'une élite d'initiés règne (3) et aurait donc tenté, avec la triarticulation, d'empêcher Woodrow Wilson d'apporter la démocratie en Europe à partir de 1917. Selon Peter Bierl, la triarticulation est donc une invention de Steiner contre la démocratie. (4) |
|||||||||||||||||
Cette affirmation m'a laissé doublement perplexe. Car d'une part, la démocratie joue un rôle essentiel dans la triarticulation telle que je la connais. D'autre part, je n'avais jusqu'à présent pas connaissance d'un rapport entre la triarticulation sociale et la politique de Woodrow Wilson. Une lacune qui, grâce à l'indication de Bierl, commence à être comblée par quelques résultats étonnants. |
|||||||||||||||||
Car on trouve effectivement un nombre étonnamment élevé de déclarations intéressantes de Rudolf Steiner sur Woodrow Wilson. Et souvent, Steiner s'oppose avec véhémence aux vues de Wilson. Jusqu'à présent, je n'ai toutefois pas trouvé de critique de Steiner sur la démocratie chez Wilson. Une fois, il a dit que Wilson appelait ses idéaux la démocratie et qu'il voulait les imposer au monde (5). Mais il manque ici une évaluation de la démocratie. Si cette déclaration sur la démocratie était seule, on pourrait peut-être supposer une attitude sceptique chez Steiner. Au lieu de cela, il a parlé et écrit à plusieurs reprises sur la démocratie et a pris parti de la manière la plus radicale pour une vie juridique démocratique qui, pour lui, devait assumer les véritables tâches de l'État (6). La démocratie serait aujourd'hui nécessaire dans un sens sain, (7) c'est pourquoi il déclinait une puissante introduction de la triarticulation aussi pendant la période révolutionnaire qui suivit la Première Guerre mondiale. Dans le premier numéro de la revue Soziale Zukunft (Avenir social), Steiner écrivait en juillet 1919 : "Que la démocratie doive imprégner entièrement la vie des peuples devrait être une évidence pour tous ceux qui ont un sens ouvert pour ce qui s'est passé dans l'histoire". (8) Il allait même parfois plus loin que ce que nous faisons aujourd'hui dans sa revendication de la démocratie et voulait faire voter démocratiquement des limitations du temps de travail afin d'empêcher l'exploitation des travailleurs pour des intérêts économiques. (9) Y voir de l'hostilité à la démocratie me semble grotesque, soit Peter Bierl ne connaît pas ces nombreuses déclarations, soit il les interprète de manière totalement différente. On peut certes trouver des déclarations plus critiques sur la démocratie chez Steiner, mais uniquement lorsqu'il parle de la vie de l économie ou de la vie de l'esprit. Car pour les questions dont les réponses devraient y être trouvées, il considère que les votes démocratiques ne sont pas utiles. (10) Le fait que Steiner ne soumette pas chaque question de la vie à la démocratie peut paraître dissuasif et il est facile de le critiquer. Je pense toutefois qu'il est douteux que Peter Bierl lui-même veuille vraiment se fier au résultat d'un vote sur un problème de mathématiques. Ou sur la question de savoir combien de carottes devaient être plantées dans quel sol. Et se qualifierait-il d'ennemi de la démocratie s'il préférait son propre jugement ou celui de personnes compétentes au jugement de la majorité sur de telles questions ? Pour Steiner, la démocratie n'est pas la panacée, mais elle est nécessaire dans toutes les questions interpersonnelles relatives aux droits et aux devoirs. |
|||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
Le problème de la comparaison des organismes |
|||||||||||||||||
Peter Bierl déduit la prétendue hostilité de Steiner à l'égard de la démocratie avant tout de l'utilisation qu'il fait de la notion d'organisme social. (11) Pour une telle vision organiciste de la société, la démocratie serait contre-nature. (12) |
|||||||||||||||||
Cela me ramène à ma deuxième question de départ : qu'est-ce qui dérangeait Steiner chez Wilson, si ce n'était pas son désir de démocratisation ? |
|||||||||||||||||
Un point critique essentiel est la conception organiciste de l'État de Wilson. Déjà en avril 1913, avant même le début de la guerre, Steiner critiquait l'explication de l'État par Wilson par le biais de comparaisons d'organismes. (13) Wilson voulait remplacer l'image newtonienne et mécanique de la société du XIXe siècle par une compréhension darwinienne et organique des États. (14) Steiner s'est rebellé. Et il est resté fidèle à cette critique (15), bien qu'il ait lui-même exigé/promu une triarticulation de l'organisme social à partir de 1917. Cela signifie-t-il que pour Bierl, Woodrow Wilson était lui aussi un ennemi de la démocratie ? Chez Steiner, la comparaison des organismes lui semble en être une preuve suffisante. Peter Bierl présente, à l'aide d'une antique fable (16) que Steiner montre que l'organisme social doit être une justification de la domination. L'histoire choisie, à laquelle Steiner n'a jamais fait référence pour la triarticulation, a probablement été racontée par un patricien pour convaincre les plébéiens opprimés du bien-fondé de leur division en classes/états sociaux. Bierl affirme que l'idée de la triarticulation de Steiner relève du même esprit autoritaire (17) et passe sous silence le fait que Steiner s'opposait explicitement à une société d'états sociaux. (18) Il ne s'agissait pas pour lui de classer les humains, mais de trouver trois types de coopération sociale, auxquels tous les humains participent à chaque fois (...) parce que nous avons affaire, à l'époque moderne, à des humains et non à des états sociaux (19). Seule la méthode de coopération devait varier. Steiner a néanmoins parlé d'un organisme social et a parfois fait une comparaison avec l'organisme naturel. Ce faisant, il a toutefois strictement indiqué que cette comparaison ne devait rien signifier d'autre qu'une comparaison. (20) Et encore plus clairement : "Si l'on transpose simplement à l'organisme social ce que l'on croit avoir appris de l'organisme naturel,(...), on ne fait que montrer que l'on ne veut pas acquérir les capacités de considérer l'organisme social (...) de la même manière pour soi, (...) comme on en a besoin pour la compréhension de l'organisme naturel. (21) L'organicisme, apparemment sans problème pour Bierl de Wilson, auquel Steiner opposait son organicisme soi-disant autoritaire, promeut exactement cela : "Living political constitutions must be Darwinian in structure and in practice". (22) |
|||||||||||||||||
Mais pourquoi Steiner utilise-t-il lui aussi le mot organisme ? Tout d'abord, l'exemple montre assez clairement que la réponse n'est pas aussi simple que Bierl se l'imagine. Pour chaque terme d'organisme, nous devrions d'abord essayer de comprendre ce qu'il signifie. Pour Steiner, l'organisme n'est pas une lutte pour l'existence. (23) Sa triarticulation de l'organisme naturel veut indiquer que trois principes fonctionnellement différents sont actifs dans l'humain. (24) Ce que Steiner voulait montrer avec la comparaison et pourquoi il l'utilise, malgré ses propres réserves, est développé de manière très critique et approfondie dans le livre de Sylvain Coiplet 'Organisme naturel et social'. (25) Et Wilson n'a pas non plus choisi la comparaison des organismes pour dépasser la démocratie. Pour lui, il s'agissait de rendre les différents États capables de se développer et plus puissants. (26) Si je comprends bien cette dernière source, il exigeait pour cela une concentration du pouvoir sur le président démocratiquement élu et moins de séparation des pouvoirs. |
|||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
La soif de domination de l'élite intellectuelle |
|||||||||||||||||
Contrairement à Wilson et contrairement à ce qu'affirme Bierl, Steiner ne voulait pas justifier une quelconque forme de domination autoritaire par la comparaison aux organismes. Le fait que Steiner se soit toujours gardé de dire quelles seraient concrètement les bonnes décisions dans les différents domaines illustre peut-être le peu de cas qu'il faisait du principe du chef et de l'obéissance (27). Il s'est contenté d'indiquer de quelle manière les humains devaient se réunir pour parvenir à une décision proche de l'actualité. Steiner ne pouvait et ne voulait pas décider de ce qu'est le droit, cela ne peut être décidé que dans une vie de droit démocratique. (28) Steiner ne pouvait pas non plus décider de ce qui est économiquement raisonnable, pour cela il fallait à ses yeux que les différents besoins des producteurs, des consommateurs, des commerçants, des différentes branches, etc. entrent en échange associatif. (29) Le reproche de Bierl d'une élite dirigeante vise cependant surtout la vie de l'esprit. Steiner décrit ici aussi des rapports hiérarchiques dans les théocraties et aristocraties d'autrefois, qui ne seraient toutefois plus d'actualité aujourd'hui. Il considère comme très dommageable que la vie de l'esprit de son époque en conserve encore des vestiges. Il est faux, selon lui, de vouloir transmettre aux grandes masses ce qui est né spirituellement du cercle de sensibilité d'une minorité qui se sépare. Non, l'époque exige une vie de l'esprit qui englobe tout le monde de manière sociale. (30) Mais pour cela, la liberté de tous les hommes dans la vie de l'esprit et une création de temps libre par la vie de droit sont une nécessité absolue. (31) Pour Steiner, l'autorité ne peut naître dans la vie de l'esprit que si les autres humains considèrent une personne si compétente dans un domaine qu'ils lui demandent conseil pour certaines décisions. (32) Ce conseil n'aurait toutefois pas le caractère d'un commandement, mais ne pourrait être suivi que par discernement. (33) Pour moi, cela ne ressemble pas à un principe de guide et d'obéissance ou au désir de domination de guides initiés. Déjà dans son œuvre de jeunesse et principale, la Philosophie de la liberté, Steiner écrivait : "Nous ne voulons plus croire ; nous voulons savoir. (34)". |
|||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
Le rapport à la réalité pour surmonter la concurrence économique |
|||||||||||||||||
Steiner pensait que plus un mode de pensée était proche de la réalité, plus il ne pouvait donner que des indications sur une méthode et non des résultats. (35) Chez Wilson, ce rapport à la réalité lui faisait défaut. Il pensait de manière peu pratique et proclamait des idéaux impossibles à mettre en œuvre. (36) Steiner était cependant d'accord avec certaines analyses des problèmes de Wilson et le voyait même proche du socialisme. L'économie en est un exemple. Steiner partageait l'avis de Wilson selon lequel l'économie s'était développée plus rapidement que le droit et exigeait donc de nouvelles formes de droit. (37) La réponse de Steiner était d'une part de retirer le travail de l'économie par le biais de lois démocratiques sur la protection du travail. (38) D'autre part, il faut une collaboration associative de tous les participants au sein de l'économie. Les commerçants, tous les consommateurs, les producteurs des branches les plus diverses, tous devraient, selon Steiner, se coordonner économiquement. (39) Avec de telles associations, Steiner espérait surmonter la concurrence dans l'économie. Il ne resterait plus qu'à (...) soutenir d'une certaine manière cette cessation de la concurrence. (40) Wilson, en revanche, exigeait une promotion de la concurrence. (41) J'ai choisi cet exemple parce qu'il montre de manière grotesque comment Peter Bierl dénature la triarticulation sociale. Il prétend simplement que pour Steiner l'économie devrait fonctionner selon les principes de la concurrence (42), suggérant ainsi à Steiner l'exact contraire de son véritable objectif. |
|||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||
Nationalisme et racisme |
|||||||||||||||||
Mais c'est le racisme et le nationalisme de Wilson que Steiner critiquait avec le plus de véhémence. Ce dernier voulait déterminer les frontières des États sur la base de la consanguinité des peuples (43), alors que pour Steiner, la seule réalité actuelle ne pouvait être que le dépassement des nationalismes, l'effacement des nationalismes et le fait que les humains soient saisis par l'humanité universelle. (44) Steiner a également parlé de races et a parfois affirmé des choses extrêmement critiques. (45) Toutefois, il ne s'est jamais agi pour lui de consolider institutionnellement de telles caractéristiques, mais de dépasser la détermination de l'individu par le groupe. (46) Quelques mois avant sa mort, il mettait encore en garde contre l'aspiration des humains vers la race, vers la nation, qui s'exprime aujourd'hui de manière si incompréhensible à travers le wilsonisme. C'est quelque chose de tout à fait terrible que la manière dont les humains s'efforcent aujourd'hui de se fondre dans les races et les peuples et dont ils veulent au fond enterrer tout cosmopolitisme. (47) Steiner, contrairement à de nombreux Allemands, s'est prononcé contre l'annexion de la Haute-Silésie par l'Allemagne et a proposé que celle-ci s'administre elle-même indépendamment des ethnies. (48) Les questions critiques pour l'identité du peuple, comme la langue, devraient être détachées de l'État afin d'éviter l'oppression culturelle. (49) Dans ses fameux 14 points, Wilson a également exigé que les frontières soient tracées en fonction de l'appartenance ethnique. (50) Ses attitudes et ses actes racistes n'ont pas seulement déplu à Rudolf Steiner, ce fait fait fait actuellement l'objet d'un débat intensif, en particulier dans les pays anglophones. (51) Même à l'intérieur de son propre pays, Wilson a pratiqué la ségrégation, une séparation de la population en fonction de l'appartenance ethnique. En réponse à une plainte de Monroe Trotter, rédacteur d'un journal afro-américain, Wilson lui a dit que la ségrégation était un avantage et qu'elle devait être considérée comme telle par vous, messieurs. (52) Wilson ressemble ici au patricien de Bierl, qui veut convaincre les opprimés du bien-fondé de leur intégration corporative. (53) Ceci illustre un fait intéressant : Peter Bierl ne manque jamais de souligner les liens, même périphériques, entre les personnes du mouvement de triarticulation et les idées racistes et ethniques. Il fait remarquer qu'à côté de |
|||||||||||||||||
Il devrait être clair, après les déformations que j'ai montrées, que Peter Bierl n'aspire pas à une clarification du contenu de la triarticulation sociale. C'est pourquoi je renonce, en raison de la longueur du texte, à passer en revue une à une toutes les affirmations trompeuses et je joins au texte, pour les personnes particulièrement intéressées, une comparaison sous forme de tableau de quelques autres déclarations. |
|||||||||||||||||
|
Conclusion |
||||
Il est probable que Peter Bierl n'aurait pas besoin de déformer la triarticulation pour trouver des points critiques à son égard. Le peu de manières de voir politiques que j'ai pu trouver chez lui ne semble en effet pas correspondre à la conception de la société de Steiner. Pour une telle critique de la triarticulation, il aurait pourtant fallu une véritable confrontation avec les idées de Steiner. Afin d'obtenir une première compréhension de ce que Steiner entendait par la triarticulation, il aurait suffi de lire l'ouvrage principal de Steiner sur les 'Points essentiels de la question sociale', qui, avec ses 160 pages, devrait être à la portée d'un journaliste. Au lieu de cela, Peter Bierl disserte sur une triarticulation qu'il n'a manifestement pu se former que dans ses propres représentations. Une telle utilisation de sa propre autorité journalistique doit-elle être considérée comme un plaidoyer de Bierl pour une vie intellectuelle hiérarchisée ? En tout cas, je suis préoccupé par le fait qu'un homme pour qui le soin ou la véracité dans son travail sont si peu importants semble répondre aux exigences journalistiques de la Süddeutsche Zeitung, l'un des journaux les plus reconnus de ce pays, qui a largement contribué à façonner ma vision du monde de jeunesse. |
||||
Dans la triarticulation de Steiner, ni la vie économique basée sur la concurrence, ni l'ordre en classes/états sociaux, ni le nationalisme, ni la vie intellectuelle hiérarchique, ni l'hostilité à la démocratie ne jouent un rôle. Pourtant, Bierl affirme tout cela, en partie explicitement, en partie par allusion. Il semble vouloir présenter la triarticulation comme un mouvement antisocial de fans d'ésotérisme avides de domination et étrangers au monde. Il y a toujours eu des personnes éloignées du monde dans les cercles anthroposophiques et c'est peut-être aussi pour cela que la triarticulation a eu tant de mal. Car elle ne porte rien d'impraticable en elle. Elle ne s'est jamais intéressée à la prospérité anthroposophique, mais aux problèmes humains aigus de son époque. C'est précisément pour cette raison que la démocratie était d'une importance élémentaire pour Steiner, afin de pouvoir changer quelque chose à la situation précaire dans laquelle l'industrialisation et le capitalisme ont plongé la population laborieuse. (57). C'est pourquoi Steiner a été acclamé par tant de travailleurs et invité à tant de conférences. (58) Non pas, comme semble le croire Bierl, parce qu'ils étaient assez stupides pour se laisser calmer par lui sur ordre de leurs supérieurs, mais parce qu'il les comprenait et que sa triarticulation les aurait aidés. |
||||
Naturellement, Steiner a aussi beaucoup parlé du suprasensible, mais il ne s'agissait pas pour lui d'une fuite élitiste du monde, mais d'un approfondissement de la vie quotidienne. Car ce qui vient de l'esprit cesse d'être impraticable lorsque cela vient effectivement de l'esprit. Cela devient alors pratique au sens le plus noble du terme. (60) La triarticulation sociale en est une preuve vivante ! |
||||
Pour en revenir à l'affirmation par laquelle Peter Bierl commence son analyse de la triarticulation sociale, il se peut que Rudolf Steiner ait réellement développé ou du moins rendu la triarticulation publique afin de pouvoir s'opposer à Woodrow Wilson. Mais ce que Steiner a effectivement critiqué chez Wilson ressemble étonnamment aux choses que Peter Bierl impute à Rudolf Steiner et à la triarticulation un bon siècle plus tard. |
||||
Et je voudrais donc terminer par la question suivante : Peter Bierl a-t-il peut-être confondu Rudolf Steiner et Woodrow Wilson ? |
||||
|
||||
***
|
||||
Voici encore quelques citations rassemblées sur des questions qui n'ont pas encore pu être traitées ou du moins pas de manière suffisamment approfondie dans le texte précédent. On y trouve également quelques citations de Woodrow Wilson, pour lesquelles je n'ai malheureusement pu trouver une traduction allemande que dans un seul cas (la nouvelle liberté). La plupart des citations sont tirées de ce livre et reproduites d'abord en allemand, puis dans l'original. Pour les autres, je les ai ajoutées uniquement en anglais, précédées d'une petite évaluation du contenu.(ndt : nous les fournissons ici traduites en français) Pour pouvoir distinguer un peu mieux les personnes, elles ont toutes des couleurs d'écriture différentes. J'ai renoncé aux indentations habituelles, j'espère que c'est tout de même assez compréhensible. |
||||
À propos des comités d'entreprise |
||||
Après la révolution de novembre, les anthroposophes ont lutté contre une république des conseils, contre la socialisation des entreprises et contre le dépassement du capitalisme et ont utilisé l'idée de la triarticulation dans leur propagande. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 3:23 - 21 mai 2021 |
||||
Il n'est évidemment pas évident de savoir de quels anthroposophes Bierl parle ici. Il n'a probablement pas fait allusion à Steiner, car celui-ci s'est battu pour exactement le contraire. Pour des conseils d'entreprise en réseau et la socialisation : |
||||
Mais ce dont il s'agit lors de la création de conseils d'entreprise, c'est de s'attaquer à une véritable socialisation. Si les conseils d'entreprise sont élus maintenant et qu'ils se réunissent ensuite pour former un corps de conseils d'entreprise, c'est de cette assemblée primaire du corps de conseils d'entreprise que pourra partir ce que l'on appelle les premiers pas vers une véritable socialisation. Rudolf Steiner : GA 331 1ère éd. p. 222 2 juillet 1919 |
||||
Pour Steiner, les conseils d'entreprise et la socialisation semblaient même se conditionner mutuellement. De plus, il s'amusait du fait que les gens craignaient que les travailleurs ne cannibalisent les entreprises et se retrouvent ainsi au chômage : |
||||
Je voudrais encore citer une autre belle phrase qui est apparue ces jours-ci contre nos efforts pour élire des conseils d'entreprise. On craint en effet différentes choses de la part de ces conseils d'entreprise élus de manière sauvage. On dit entre autres que l'exploitation unilatérale des entreprises par les travailleurs est contraire à l'idée de socialisation. - Mais je ne sais pas du tout ce que cela veut dire. Je me creuse la tête pour trouver une réponse à cette phrase. La cannibalisation unilatérale des entreprises par les ouvriers, qu'est-ce que cela veut dire ? Voyez-vous, si les ouvriers ont leur dose de coresponsabilité dans l'entreprise, ils sauront que s'ils ne prennent pas soin de l'entreprise de leur propre chef, celle-ci sera rapidement dans un état tel qu'ils ne pourront plus la cannibaliser. On ne devrait pas s'imaginer que les représentants intelligents du patronat supposent que les ouvriers sont assez fous pour se lancer dans l'exploitation de l'entreprise afin de se jeter ensuite eux-mêmes à la rue. Car les ouvriers ont suffisamment appris ce que signifie être mis à la rue par d'autres. Je ne pense pas qu'ils devraient l'imiter eux-mêmes, car ils ont suffisamment appris à connaître cette pratique chez les autres.(...) |
||||
dans le paragraphe suivant, Steiner parle même du fait que les humains capitalistes sont désavantagés par les conseils d'entreprise, car ils ne participent pas à la production, mais se contentent jusqu'à présent de prélever les bénéfices : |
||||
(...) que de ce fait, ceux qui sont employés dans les entreprises en tant que travailleurs participent à la fructification, tandis que ceux qui, jusqu'à présent, n'ont jamais participé qu'aux bénéfices de la manière la plus diverse, s'en tirent mal. En d'autres termes, ceux qui gagnent leur vie grâce au simple capitalisme s'en sortiront mal. Rudolf Steiner : GA 331 1ère éd. p. 118 s. 5 juin 1919 |
||||
Au nom de qui Steiner s'est-il exprimé dans les entreprises ? |
||||
Sur l'invitation d'entrepreneurs du Wurtemberg, Steiner a fait de l'agitation devant des ouvriers* dans les entreprises. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 3:36 21 mai 2021 |
||||
Il n'est pas facile de trouver des sources fiables sur la question de savoir qui a lancé l'invitation aux différentes conférences. En lisant les conférences, on se rend compte rapidement que, du point de vue capitaliste, il aurait été pour le moins imprudent de laisser Steiner s'agiter devant les travailleurs. L'invitation générale de Steiner à Stuttgart semble avoir été lancée, entre autres, par l'entrepreneur Emil Molt. Mais d'après ce que j'ai pu trouver, Steiner ne donnait des conférences dans les entreprises que sur invitation des comités d'ouvriers. Walter Kugler écrit à ce sujet dans la préface du Rudolf Steiner GA volume 331 : |
||||
Dans les jours qui suivirent, Rudolf Steiner s'exprima, toujours sur invitation des comités d'ouvriers et d'employés respectifs, devant le personnel réuni de l'entreprise Robert Bosch (24 avril), des usines Daimler à Stuttgart-Untertürkheim (25 avril), de l'usine de cartonnage Delmonte (26 avril) et le lendemain devant les ouvriers des grandes entreprises d'Esslingen. Walter Kugler : in Rudolf Steiner GA 331 1ère éd. S. 20 1989 |
||||
Dans le cahier annexe à l'œuvre complète sur la période de triarticulatio, on trouve en outre les deux passa- suivants. |
||||
29 avril 1919 Stuttgart : des ouvriers font une demande à l'assemblée générale du conseil ouvrier du Grand Stuttgart pour inviter le Dr Steiner "qui, la semaine dernière, a parlé dans différentes réunions devant les ouvriers et d'autres couches de la population sur le point central de la question sociale et son problème de la tripartition de la socialisation, à parler dans une assemblée générale sur la question de la socialisation. Celle-ci devrait avoir lieu dès que possible, compte tenu de l'importance de cette question". |
||||
29 et 30 avril Stuttgart, Saalbau Dinkelacker, 18 heures : deux conférences publiques du Dr Steiner, sur invitation du Comité ouvrier pour la triarticulation sociale (Benzinger, Dorfner, Gönnewein, Hammer, Hüttelmeyer, Mössel, Lohrmann), sur le thème "Les revendications prolétariennes et leur future réalisation pratique", avec discussion. Après ces conférences, la résolution adressée au gouvernement du Wurtemberg est également approuvée. Cahier annexe à l'édition complète de Rudolf Steiner 27/28 p. 12 1969 |
||||
À propos d'une vie de l'esprit élitiste |
||||
Il [Steiner] a conçu comme premier maillon un organisme spirituel qui englobe la science, l'art et la culture et qui devrait être hiérarchisé. Fidèle à la doctrine ésotérique de la domination des guides divins et des initiés, Steiner plaidait pour la primauté d'une élite de personnes capables. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 2:41 21 mai 2021 |
||||
J'ai déjà essayé d'aborder la question de la hiérarchie dans la vie de l'esprit dans le texte courant. Je vais maintenant ajouter quelques citations sur la question d'une vie de l'esprit élitiste. Steiner ne voulait en aucun cas placer une quelconque élite dans la vie de l'esprit, mais tous les humains. Pour que tous aient du temps pour la vie de l'esprit, il plaidait même pour que tous travaillent un peu moins physiquement : |
||||
Pendant le repos, chacun doit avoir la possibilité de participer à la vie sociale. Le temps de travail serait très réduit si tout le monde travaillait physiquement. La division du travail est nécessaire. Rudolf Steiner : GA 332b 1ère éd. p. 83 22 avril 1919 |
||||
Grâce à son activité dans une école d'éducation ouvrière, Steiner s'est rendu compte de manière particulièrement claire de la nécessité d'une vie de l'esprit accessible à tous les humains. Selon lui, même la culture ancienne ne peut pas être accessible aux travailleurs si elle est née dans une vie de l'esprit élitiste : |
||||
Quelqu'un qui a vraiment de l'expérience dans ce domaine peut parler de ce domaine à partir de son expérience. J'ai été pendant des années enseignant à l'école d'éducation ouvrière fondée à Berlin par Liebknecht. Je sais donc comment trouver les sources d'une vie de l'esprit qui ne soit pas la réserve d'une classe privilégiée et ne représente pas une vie de l'esprit de luxe, mais à partir de laquelle on peut parler à tous les humains qui ont le désir de conquérir une existence digne de l'humain pour leur âme et leur corps. Et je sais encore autre chose de cette pratique de vie. Je sais comment les ouvriers me comprenaient, me comprenaient de mieux en mieux, lorsque je leur parlais à partir d'une vie de l'esprit libre, qui est là pour tous les humains, et non pour une classe privilégiée. Parce que les ouvriers pensaient qu'il fallait participer à telle ou telle chose, il y a eu des moments où j'ai été amené à conduire les ouvriers dans des musées ou des institutions similaires, dans des lieux où l'on pouvait voir les témoignages d'une culture qui n'était là que pour quelques-uns, qui ne représentait pas une culture populaire, une vie de l'esprit populaire. C'est là que j'ai vu comment le fossé existait aussi dans le domaine spirituel et comment les gens ne pouvaient pas vraiment prendre en soi intérieurement ce qui a été créé sur le sol d'une culture pour un petit nombre. Il y a là une erreur à laquelle beaucoup s'adonnent encore aujourd'hui. On croit faire de l'éducation populaire en jetant à la grande masse des morceaux de ce qui est né de notre culture dans les universités, les écoles secondaires et autres établissements d'enseignement, et qui n'est né que des sentiments sociaux de quelques-uns. Que n'a-t-on fait pour promouvoir une telle éducation populaire ! Des bibliothèques populaires, des universités populaires, des théâtres populaires et ainsi de suite. On ne dépasse jamais l'erreur qui consiste à croire que l'on peut faire passer dans les grandes masses ce qui est né spirituellement du cercle de sensibilité d'une minorité qui se sépare. Non, l'époque exige une vie de l'esprit qui englobe tout le monde de manière sociale. Mais cela ne peut naître que si ceux qui doivent y participer forment une unité avec toute leur vie sensible, avec tous leurs fondements sociaux, avec ceux qui produisent cette vie de l'esprit ; si on ne leur jette pas des morceaux, mais si la masse populaire entière travaille spirituellement de manière uniforme. Mais pour cela, il faut libérer la vie de l'esprit de la contrainte étatique et capitaliste. Il va de soi que je ne peux pas, dans un bref exposé, citer tout ce qui se trouve dans mon livre sur ces points essentiels de la question sociale - tout ce qu'il faudrait dire sur la nécessité de sortir cette vie de l'esprit, en particulier l'enseignement, de la vie étatique et économique et de la placer sur elle-même. Mais c'est la première exigence pour la triarticulation de l'organisme social : une vie de l'esprit qui se développe à partir d'elle-même. Rudolf Steiner : GA 333 2ème éd. p. 15 s. 26 mai 1919 |
||||
Le fait que Steiner considérait qu'une domination par des guides divins n'était pas adaptée à l'humanité actuelle ne change rien au fait qu'il accordait aux pharaons égyptiens, etc. un rôle important à leur époque. Pour Steiner, le changement était souvent particulièrement important. Il l'a décrit en 1920 dans la préface de la 4e édition de Kernpunkte, en prenant l'exemple de l'éducation étatique : |
||||
On ne veut pas se laisser facilement aller à une compréhension qui est aujourd'hui absolument nécessaire dans ce domaine. C'est que dans l'évolution historique de l'humanité, ce qui est juste dans le passé peut devenir une erreur dans une période ultérieure. Il était nécessaire, pour l'avènement des conditions humaines modernes, que l'éducation, et donc la vie de l'esprit publique, soit retirée aux cercles qui la détenaient au Moyen-Âge et confiée à l'État. Mais le maintien de cet état de fait est une grave erreur sociale. Rudolf Steiner : GA 23 7e éd. S. 10 1920 |
||||
Steiner voyait même dans la domination d'une petite élite en Allemagne l'une des causes de la guerre mondiale. La solution ne consisterait pas à mettre en place une nouvelle élite dirigeante, prétendument meilleure, mais tous les humains devraient aujourd'hui co-diriger : |
||||
Pour que l'on puisse gouverner comme on l'a fait à Berlin, non pas avec les moyens techniques, il n'aurait par exemple pas été nécessaire de recourir à l'imprimerie, qui a permis de diffuser l'éducation et la capacité de jugement dans les masses les plus larges. Mais alors, la catastrophe de la guerre mondiale n'a-t-elle pas vraiment fait sombrer dans l'abîme ce qui n'a fait que continuer à fonctionner ainsi ? Nous nous trouvons aujourd'hui sur un autre terrain, et aujourd'hui les humains ne sont pas prêts à se laisser dicter par de petits groupes ce qu'ils doivent faire, et à remplacer un petit groupe par un autre petit groupe. Aujourd'hui, tout le monde veut déjà participer. Aujourd'hui, c'est l'époque où l'on doit apprendre la différence entre diriger et gouverner. Il semble d'ailleurs que cette différence n'ait pas encore été suffisamment reconnue. Aujourd'hui, c'est le peuple qui doit gouverner, un gouvernement ne peut que gouverner. C'est ce qui importe. Et c'est ainsi que la démocratie est aujourd'hui nécessaire dans un sens sain. C'est pourquoi je n'ai pas non plus l'espoir que l'on puisse atteindre quelque chose avec les plus belles idées si on veut les réaliser par de petits groupes et si on n'est pas porté par la connaissance et la compréhension de la véritable majorité de la population. Rudolf Steiner : GA 331 1ère éd. p. 68 s. 22 mai 1919 |
||||
Organisme |
||||
Steiner parle d'une "structure de l'organisme social" analogue à celle de l'organisme naturel, (...) Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 1:00 |
||||
Steiner a certes parlé d'une structure de l'organisme social et de l'organisme naturel, mais jamais d'une analogie. Il distinguait scrupuleusement l'analogie (qu'il évitait) de la comparaison (qu'il faisait parfois). Ce qui lui semblait important, c'était de ne pas mettre sur le même plan les différents éléments, mais de rendre plus compréhensible le mouvement général de la pensée. Par exemple, si je veux résoudre un certain problème mathématique, il peut être utile pour ma compréhension d'effectuer d'abord le mouvement de pensée avec des chiffres simples. Ensuite, je peux essayer de voir si ce mouvement de pensée m'aide également à traiter un problème plus difficile avec des nombres plus grands. Il ne s'agit pas d'assimiler les petits nombres aux grands, mais de voir si la comparaison de la méthode de calcul aide à résoudre le nouveau problème. Une telle comparaison peut faire apparaître aussi bien des similitudes que des oppositions complètes. Ce qui est important, c'est qu'il faut penser différemment. Je ne sais pas dans quelle mesure il s'agit d'une séparation courante entre analogie et comparaison, c'est en tout cas ainsi que je comprends Steiner : |
||||
Je peux peut-être, pour dire clairement ce qui doit justement être caractérisé ici comme les impulsions motrices d'une observation globale et tous azimuts sur la question sociale, partir d'une comparaison. Mais il faudra veiller à ce que cette comparaison ne signifie rien d'autre qu'une comparaison. Une telle comparaison peut soutenir la compréhension humaine, afin de l'amener dans la direction nécessaire pour se faire des représentations sur l'assainissement de l'organisme social. Rudolf Steiner : GA 23 7ème éd. p.56 28 avril 1919 |
||||
et quelques pages plus loin, également dans les 'Points essentiels de la question sociale', Steiner porte son jugement le plus sévère sur l'analogie : |
||||
Dès l'instant où l'on se place vraiment objectivement, comme le fait le naturaliste face à l'organisme naturel, face à l'organisme social dans son indépendance, pour en ressentir les lois propres, dès cet instant, tout jeu d'analogie cesse face au sérieux de la réflexion. Rudolf Steiner : GA 23 7ème éd. p.60 28 avril 1919 |
||||
Steiner considérait les analogies comme particulièrement dangereuses, parce qu'il était facile de se méprendre et de confondre les choses. C'est précisément l'erreur contre laquelle Steiner mettait en garde qui semble avoir été commise par Bierl en terminant sa phrase, du moins tant qu'il situe la pensée dans la vie de l'esprit : |
||||
(...) dans laquelle la tête pense et non les poumons. Peter Bierl : Qu'est-ce que la tripartition anthroposophique min. 1:08 |
||||
Il en va de même avec le jeu d'analogie auquel se livrent les gens entre les trois membres de l'organisme individuel et les trois membres de l'organisme social. Que dira celui qui se livre à ce jeu d'analogie ? Il doit dire : à l'extérieur, il y a une vie de l'esprit, un art, une science. Il établira un parallèle avec ce que produit la tête humaine, avec le système nerveux-sensoriel. Rudolf Steiner : GA 192 2ème éd. p. 49 s. 23 avril 1919 |
||||
Le deuxième jeu d'analogies de Bierl ne peut lui aussi se rapporter que de manière très limitée à la triarticulation. Dans sa triarticulation de l'organisme naturel, Steiner a classé les parties du corps citées (estomac et membres) dans le système métabolisme-membres. Et il comparait ce dernier, comme dans la citation précédente, tout au plus à la vie de l'esprit : |
||||
Ce n'est pas le cas, mais l'humain est un être triarticulé, il est un humain nerveux-sensoriel, il est un humain rythmique et il est un humain de métabolisme et de membres. Rudolf Steiner : GA 346 2e éd. p. 136 134 septembre 1924 |
||||
(...) leur raconta une fable sur l'estomac et les membres (...) Lorsque les membres finirent par se fatiguer, ils comprirent que l'estomac remplissait une tâche importante pour tous, mirent fin à la grève et le nourrirent à nouveau. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 1:40 |
||||
Outre l'analogie ratée, Bierl déduit déjà de l'utilisation par Steiner du concept d'organisme l'hostilité à la démocratie déjà mentionnée et une affinité pour la domination des états sociaux : |
||||
Steiner parle d'une "articulation de l'organisme social" (...) Cette comparaison renvoie déjà à une conception organiciste de la société, telle qu'elle était déjà développée dans l'Antiquité romaine pour légitimer la domination. Une domination par les états sociaux, mais aussi le principe de l'obéissance au chef, sont donc organiques, alors que la démocratie ou le socialisme sont contre nature (voir le paragraphe suivant). Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 1:00 |
||||
Dans l'état platonique d'enseignement, de défense et de nutrition, on a exactement le contraire de ce qu'il faut maintenant viser avec la triarticulation. Un mur de séparation est érigé dans ce domaine, les états sociaux. Dans la triarticulation, c'est justement la différence de classe qui sera surmontée. Ce qui est à l'extérieur de l'homme, cela se divise en trois, tandis que chacun peut appartenir à chacun de ces trois domaines. Rudolf Steiner : GA 336 1ère éd. p. 333 20 septembre 1919 |
pour celui qui comprend la triarticulation, la triarticulation est le contraire de ce que Platon a décrit comme état nourricier, état de défense et état d'enseignement, l'exact contraire. Rudolf Steiner : GA 305 3e éd. p. 231 29 août 1922 |
Il pourrait tout simplement s'agir chez Steiner d'une autre comparaison d'organismes. Mais Bierl prévient cette possibilité avec la phrase suivante : |
Le modèle de triarticulation de Steiner est empreint du même esprit autoritaire. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 2:36 |
Une fois de plus, il aurait suffi de connaître les 'Points essentiels de la question sociale' pour dissiper cette erreur : |
C'est le contraire de cette division en classes qui est recherché. Les humains ne seront socialement intégrés ni dans des classes ni dans des états sociaux, mais l'organisme social lui-même sera structuré. Mais c'est précisément par là que l'humain pourra être véritablement humain. Car l'articulation sera telle qu'il enracinera sa vie dans chacun des trois membres. Dans le membre de l'organisme social dans lequel il se trouve par sa profession, il se tiendra avec un intérêt objectif ; et avec les autres, il aura des relations pleines de vie, car leurs institutions seront dans un rapport avec lui qui exige de telles relations. L'organisme social séparé de l'humain et constituant son terrain de vie sera divisé en trois parties ; chaque humain en tant que tel sera un élément de liaison entre les trois membres. Rudolf Steiner : GA 23 7e éd. p. 140 28 avril 1919 |
Pour Bierl, les comparaisons d'organismes dans les questions de société semblent être synonymes d'hostilité à la démocratie. Pourtant, au début du 20e siècle, il était très courant de recourir à des comparaisons avec l'organisme. Ce qui est passionnant, c'est que Woodrow Wilson, mentionné par Bierl comme démocrate, était peut-être le représentant politique le plus véhément et certainement le plus éminent de la démocratie. Comme nous l'avons déjà mentionné, Wilson plaidait en faveur d'une compréhension des États par le biais de Darwin et non par des notions acquises par Newton : |
Le gouvernement des États-Unis a été construit sur la théorie whig de la dynamique politique, qui était une sorte de copie inconsciente de la théorie newtonienne de l'univers. De nos jours, chaque fois que nous discutons de la structure ou de l'évolution de quelque chose, que ce soit dans la nature ou dans la société, nous suivons consciemment ou inconsciemment M. Darwin ; mais avant M. Darwin, ils suivaient Newton. (...) Le problème avec cette théorie est que le gouvernement n'est pas une machine, mais une chose vivante. Il tombe, non pas en dessous de la théorie de l'univers, mais en dessous de la théorie de la vie organique. Il doit rendre des comptes à Darwin, pas à Newton. Woodrow Wilson : Constitutional Government in the United States 8e éd. 15e éd. p. 54 et suivantes. 1908 |
5 ans plus tard, Wilson a repris presque mot pour mot ce qui précède dans son livre The new Freedom et y a ajouté les phrases citées sur la nécessaire capacité de développement des nations vivantes : |
Les constitutions politiques vivantes doivent être darwiniennes dans leur construction et dans leur gestion. La société est un organisme vivant et doit obéir aux lois de la vie et non à celles de la mécanique : elle doit évoluer. Woodrow Wilson : La nouvelle liberté p. 67 |
Les constitutions politiques vivantes doivent être darwiniennes dans leur structure et dans leur pratique. La société est un organisme vivant et doit obéir aux lois de la vie et non de la mécanique ; elle doit évoluer. Woodrow Wilson : The new Freedom p. 157 s. 1913 |
Steiner semble avoir lu l'un de ces textes de Wilson. Il est d'accord avec Wilson sur le fait que les concepts newtoniens de l'État sont inappropriés, mais il refuse catégoriquement d'en déduire qu'il faut ensuite s'appuyer sur Darwin. Nous aurions plutôt besoin de nouveaux concepts pour la coexistence sociale : |
Il y a des essais très remarquables qui ont été publiés récemment par le président des États-Unis d'Amérique du Nord, Woodrow Wilson. Il y a un essai sur les lois du progrès humain. Il y explique de manière très agréable et même spirituelle comment les humains sont en fait influencés par la pensée dominante de leur époque. Et il explique très spirituellement comment, à l'époque de Newton, où tout était rempli de pensées sur la gravité, on sentait dans les concepts sociaux, et même dans les concepts d'État, l'influence des théories de Newton, qui ne s'appliquaient en réalité qu'aux corps cosmiques. On sent les pensées sur la gravité en particulier se répercuter dans tout. C'est vraiment très spirituel, car il suffit de lire le newtonisme, et l'on verra que partout sont frappés des mots comme : attirer et repousser, etc. Wilson le souligne vraiment avec beaucoup d'esprit. Il dit combien il est insuffisant d'appliquer des concepts purement mécaniques à la vie humaine, d'appliquer des concepts de la mécanique céleste aux conditions humaines, en montrant comment la vie humaine était alors comme encastrée dans ces concepts, comment ces concepts ont eu partout une influence sur la vie étatique et sociale. Wilson critique à juste titre cette application de lois purement mécaniques à l'époque où le newtonisme a, pour ainsi dire, placé toute la pensée sous son joug. Il faut penser autrement, dit Wilson, et il construit maintenant son concept d'État. Et ce, de telle sorte qu'après avoir démontré cela à partir de l'ère du newtonisme, c'est le darwinisme qui ressort partout chez lui. Oui, il est assez naïf pour l'avouer. Il est assez naïf pour dire : les concepts newtoniens n'ont pas suffi, il faut appliquer les lois darwiniennes de l'organisme. Nous avons là un exemple vivant de la manière dont on avance aujourd'hui dans le monde avec une demi-logique. Les lois qui découlent purement de l'organisme ne suffisent plus. On a besoin aujourd'hui de lois d'âme et d'esprit. Rudolf Steiner : GA 146 4e éd. p. 87 et suivantes. 1er juin 1913 |
Cinq ans plus tard, il l'a formulé de manière encore plus radicale : |
Ce matin, je lisais à nouveau une phrase d'un homme qui se croit extrêmement intelligent, qui croit au moins avoir saisi la vérité économique dans ses fondements. Et voilà que la chose la plus profonde qu'il dit au milieu de son essai, c'est qu'il faut saisir la société, la cohabitation sociale des hommes comme un organisme.Les gens croient déjà avoir quelque chose d'important lorsqu'ils disent qu'il ne faut pas appréhender la vie en société comme un mécanisme, mais comme un organisme. C'est le pire des wilsonianismes au milieu de nous ! J'ai déjà dit à plusieurs reprises que l'essence du wilsonianisme réside précisément dans le fait qu'il ne peut pas trouver d'autres concepts pour la vie en société que celui d'organisme. Mais il est important que l'on apprenne à comprendre que les humains doivent encore parvenir à des concepts plus élevés que celui d'organisme s'ils veulent comprendre la structure sociale. Cette structure sociale ne peut jamais être comprise comme un organisme ; elle doit être comprise comme un psychisme, un pneumatisme, car l'esprit agit dans toute vie sociale commune des hommes. Notre époque est devenue pauvre en concepts. Nous ne pouvons pas fonder une économie politique/de peuple sans nous plonger dans la connaissance de l'esprit, car c'est là seulement que nous trouvons le métaorganisme ; c'est là que nous trouvons ce qui va au-delà du simple organisme. Rudolf Steiner : GA 181 3e éd. p. 357 16 juillet 1918 |
Steiner voyait un autre danger dans le fait de comparer, comme Wilson, des États particuliers à un organisme fermé. Seule la communauté terrestre pourrait être considérée comme un organisme : |
Dans ces domaines, les humains partent de l'idée étrange et grotesque qu'un État ou un territoire national isolé est un organisme en soi. Ils veulent carrément créer des organismes de peuple. C'est une absurdité en soi. Je l'ai déjà expliqué : Si l'on veut comparer quelque chose en ce qui concerne la vie commune des humains sur la terre, on ne peut considérer que la terre entière comme un organisme ; un territoire étatique ou populaire isolé ne peut être qu'un membre de l'organisme. Rudolf Steiner : GA 188 3e éd. p. 190 26 janvier 1919 |
Sur la concurrence dans l'économie |
L'organisme économique devrait fonctionner (pour Steiner, note de moi) selon les principes de la concurrence. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 3:02 |
Comme nous l'avons déjà mentionné, cette déclaration est tout simplement à l'opposé des préoccupations de Steiner. Steiner ne voulait certes pas nationaliser l'économie, mais il avait en revanche, dans son autogestion, ses propres approches pour surmonter la concurrence. La concurrence était toutefois l'idéal économique de Woodrow Wilson. En octobre 1919, Steiner souligna que le succès de Wilson reposait sur la libération des forces économiques. Steiner considérait également que celles-ci étaient plus puissantes qu'une économie socialisée. On verra toutefois dans les citations ultérieures qu'il ne l'approuve en aucun cas sans condition pour autant : |
Mais les gens doivent tout de même se dire : laissons de côté le jugement de Wilson, mais posons la question des faits : par quoi ce Wilson est-il devenu dans son pays l'homme influent qu'il est ? - Par le fait qu'il a mené, contre tous les autres partis, une politique issue d'un instinct américain sain, qui est exactement à l'opposé de celle dans laquelle une grande partie de l'Europe veut naviguer aujourd'hui. Une grande partie de l'Europe veut naviguer vers une communauté, vers une politique sociale commune, dans laquelle les forces individuelles et libres de l'individu sont noyées. Wilson ne doit son élection, son influence, qu'au fait qu'en tant que démocrate américain, il a contribué à libérer les forces qui, en tant que forces individuelles, se trouvaient dans la vie économique. Rudolf Steiner : GA 189 3e éd. p. 26 26 octobre 1919 |
Seuls les droits de douane protecteurs ont été utilisés par quelques-uns pour détruire la concurrence domestique, pour regrouper tous les concurrents opérant à l'intérieur de notre zone de libre-échange et pour rendre ainsi impossible l'essor de nouveaux hommes. Woodrow Wilson : La nouvelle liberté p. 130 1913 |
Mais le fait est que le tarif protecteur a été utilisé par certains hommes pour détruire la concurrence domestique, pour regrouper tous les rivaux existants au sein de notre zone de libre-échange, et pour rendre impossible l'entrée de nouveaux hommes sur le terrain. Woodrow Wilson : The New Freedom p. 144 s. 1913 |
Lorsque j'entends les arguments de certains des plus grands hommes d'affaires qui prétendent que l'élimination des droits de douane protecteurs les mettrait à l'abri de la concurrence mondiale, j'ai envie de répondre par la question suivante : quand et où est-il arrivé que l'esprit américain ait eu peur d'entrer dans le monde libre et d'engager le combat avec le monde ? Woodrow Wilson : La nouvelle liberté p. 137 1913 |
Whell I hear the argument of some of the big business men in this country, that if you take off the "protection" of the tariff they would be overcome by the competition of the world, I ask where and when happened that the boasted genius of America became afraid to go out in the open and compete with the world ? Woodrow Wilson : The New Freedom p. 158 1913 |
Veillons à ce que l'engrais de l'intelligence, de l'inventivité et du savoir-faire propre soit à nouveau appliqué à un groupe d'industries qui risquent de se figer parce qu'elles cherchent à s'unir trop étroitement. La politique qui consiste à libérer le pays de la loi de restriction rendra le nombre d'entreprises si varié et si varié tout autour du pays que les ventes s'élargiront et que la concurrence du travail augmentera. Et le soleil brillera à nouveau à travers les nuages, comme il le faisait autrefois sur l'intelligence et l'énergie libres et indépendantes d'une grande entreprise. Woodrow Wilson : La nouvelle liberté p. 138 s. 1913 |
Nous y allons pour faire en sorte que la fertilisation de l'intelligence, de l'invention, de la création, soit de nouveau appliquée à un ensemble d'industries qui menacent aujourd'hui de stagner, parce qu'elles menacent d'être trop collées. La politique de libération du pays du tarif restrictif variera et multipliera tellement les entreprises du pays qu'il y aura un marché plus large et une plus grande concurrence pour la main-d'œuvre ; elle permettra au soleil de briller à nouveau à travers les nuages comme il brillait autrefois sur l'intelligence et l'énergie libres, indépendantes et non patronnées d'un grand peuple. Woodrow Wilson : The new Freedom p. 157 s. 1913 |
Selon Steiner, la concurrence prônée par Wilson entraînerait une surproduction (1ère citation) et les travailleurs pourraient être exploités, notamment dans le cadre d'une concurrence du travail (2ème citation). La solution au sein de l'économie serait l'association et, en dehors de l'économie, la limitation du travail par des lois de l'État : |
Le fait qu'il y ait tant de travail inutile est ce qui détériore notre vie économique, parce qu'il n'y a pas le sens d'une collaboration rationnelle par le biais d'associations, de sorte que la production sache réellement où elle vend ses produits. Rudolf Steiner : GA 337b 1ère éd. p. 232 12 octobre 1920 |
Quand on est en face d'une loi naturelle, on la constate. Quand on est en face d'une loi sociale, on peut aussi la constater, mais elle n'est valable que comme un courant déterminé, et on peut la corriger. Dans la mesure où notre économie repose purement sur la libre concurrence - et il y a encore beaucoup de choses qui ne reposent que sur la libre concurrence -, la loi d'airain des salaires est valable. Mais parce qu'elle serait valable dans ces conditions, il faut apporter les corrections avec la législation sociale, avec un certain temps de travail, etc. Si vous laissez les entrepreneurs entièrement libres, la loi d'airain sur les salaires est valable. Rudolf Steiner : GA 341 3e éd. p. 11 31 juillet 1922 |
Wilson considérait la concurrence comme si importante parce qu'il avait constaté que la formation de cartels ou de trusts, qui pouvaient surmonter la concurrence grâce à leur position dominante, était nuisible : |
Toute l'organisation est taillée sur mesure pour ceux qui sont au sommet, elle est conçue pour exclure les débutants, empêcher de nouveaux arrivants et empêcher l'apparition d'entreprises concurrentes qui pourraient faire obstacle aux monopoles établis par les grands trusts. Plus que tout autre chose, notre pays a besoin d'une série de lois qui s'occupent de ceux qui sont en train de faire des affaires, et non de ceux qui sont déjà "faits". Woodrow Wilson : La nouvelle liberté p. 47 1913 |
S'ils pouvaient voter en secret, ils voteraient à l'unanimité que l'organisation actuelle des affaires était conçue pour les grands associés et n'était pas conçue pour les petits associés ; qu'elle était conçue pour ceux qui sont au sommet et était conçue pour exclure ceux qui sont en bas ; qu'elle était conçue pour couper les débutants, pour empêcher de nouvelles entrées dans la course, pour empêcher la création d'entreprises compétitives qui interféreraient avec les monopoles que les grands trusts ont créés. Woodrow Wilson : The New Freedom p. 16 s. 1913 |
Pour Steiner, ni la concurrence, ni les trusts ou les cartels n'étaient la solution. Les associations qu'il a proposées peuvent toutefois facilement être mal interprétées comme des trusts. Pour lui, il s'agissait justement de mettre en commun économiquement les intérêts mutuels, et non les intérêts identiques, qui étaient regroupés dans des trusts. Si les producteurs, les consommateurs, etc. s'associent, ils doivent négocier entre eux les bons prix et non pas se faire concurrence ensemble contre le reste du monde : |
Oui, comment de telles négociations, qui ont à voir avec la valeur mutuelle des marchandises, ont-elles lieu ? Jamais par une organisation du même, par une corporation du même, mais seulement par des associations. Comment voulez-vous que vous trouviez le rapport entre le prix de la botte et celui du chapeau si vous ne laissez pas les chapeliers collaborer avec les cordonniers par la voie associative, s'il n'y a pas d'association, si des associations ne sont pas formées ? Il n'y a pas d'associations au sein d'une branche, car ce ne sont pas des associations, mais des associations qui vont d'une branche à l'autre, et surtout des producteurs aux consommateurs. Les associations sont l'exact contraire de ce qui mène au trust, au syndicat et autres. Rudolf Steiner : GA 337b 1ère édition p. 211 10 octobre 1920 |
Où la démocratie est-elle juste ? |
(Woodrow Wilson) avait exigé, comme condition à un armistice et à des négociations de paix, que l'Empire allemand et la monarchie autrichienne se transforment en démocraties bourgeoises. Steiner, comme tous les conservateurs et les nationalistes, refusait une telle solution. Peter Bierl : Qu'est-ce que la triarticulation anthroposophique min. 0:28 |
Nous avons déjà expliqué dans le texte principal que Steiner était fondamentalement favorable à la démocratie. Voici encore une sélection de sources un peu plus étendue, qui mène ensuite à la question de la démocratie dans l'économie et dans la vie spirituelle : |
Aujourd'hui, c'est le peuple qui doit gouverner, un gouvernement ne peut que gouverner. C'est ce qui compte. Et c'est ainsi que la démocratie est aujourd'hui nécessaire dans un sens sain. C'est pourquoi je n'ai pas non plus l'espoir que l'on puisse obtenir quelque chose avec les plus belles idées, si l'on veut les réaliser par de petits groupes, si l'on n'est pas porté par la connaissance et la compréhension de la majorité réelle de la population. Rudolf Steiner : Cahier annexe à l'œuvre complète no 27/28 p. 23 22 mai 1919 |
Parmi les questions importantes qui, à l'heure actuelle, sortent de la catastrophe de la guerre mondiale et se transforment en formes entièrement nouvelles, il y a celle de la démocratie. Le fait que la démocratie doive imprégner entièrement la vie des peuples devrait être une évidence pour tous ceux qui ont un sens ouvert pour ce qui s'est passé dans l'histoire. La catastrophe de la guerre mondiale a démontré l'impossibilité d'un développement ultérieur de tout ce qui est contraire à la démocratie. Tout ce qui est antidémocratique a conduit à sa propre destruction. Pour ceux qui pensent, sous une forme ou sous une autre, à la reconstitution d'un tel antidémocratisme, il ne pourra s'agir que de faire apparaître comme preuve de leur discernement ce que la réalité a prouvé par des flots de sang. Rudolf Steiner : GA 24 2ème éd. p. 201 juillet 1919 |
Nous sommes égaux en tant qu'êtres humains, ici dans le monde physique, précisément par l'égalité de notre forme humaine, simplement par le fait que nous portons tous le visage de l'humain. Le fait que nous portions tous un visage humain, que nous nous rencontrions en tant qu'êtres humains physiques extérieurs, que nous formions ensemble sur le sol démocratique les impulsions juridiques et les impulsions morales, nous rend égaux sur ce sol. Nous sommes différents les uns des autres par nos dons individuels, qui appartiennent cependant à notre intériorité. Rudolf Steiner : GA 192 2ème éd. p. 39 s. 23 avril 1919 |
Ce qui précède laisse déjà entendre que pour Steiner, il existe aussi des domaines de la coopération humaine dans lesquels ce n'est pas notre égalité en tant qu'êtres humains qui est pertinente, mais justement nos différences. Il est plus explicite dans les citations suivantes : |
L'État ne pourrait s'engager dans une telle vie de l'esprit que si elle était entièrement démocratique, car la démocratie appartient à l'État. Mais la vie de l'esprit dans ses propres profondeurs ne peut jamais agir de manière totalement démocratique. Vous ne pouvez pas descendre dans la profondeur de la vie spirituelle, ni dans la profondeur de la connaissance de l'humain, si vous en restez à la démocratie. Mais dans l'État, tout doit être démocratique. Dans l'État, on ne doit juger que ce que chaque humain peut juger de chaque humain. Mais ce n'est pas ainsi qu'une véritable connaissance de l'être humain peut voir le jour. Celle-ci doit être repoussée dans le domaine qui est justement livré à lui-même et qui se déroule en tant que vie spirituelle. Les humains passent aujourd'hui les uns devant les autres et continueront à passer les uns devant les autres jusqu'à ce qu'ils se voient en esprit. Rudolf Steiner : GA 190 3e éd. p. 139 11 avril 1919 |
L'État ne peut s'étendre qu'aux affaires dans lesquelles tous les hommes devenus majeurs sont capables de discernement en tant qu'égaux entre eux. Le parlementarisme démocratique est son élément vital. Mais ce parlementarisme doit être complété par une vie intellectuelle et une vie économique qui s'administrent elles-mêmes. Dans les deux, d'autres forces que celles qui peuvent s'épanouir dans les parlements démocratiques doivent agir. Rudolf Steiner : GA 24 2ème édition p. 186 s. novembre 1920 |
Cela signifie que ce qui est démocratique doit être séparé du sol de la vie de l'esprit et du sol de la vie économique. C'est alors qu'apparaît entre les deux la vie d'État démocratique proprement dit, dans laquelle chaque être humain se trouve face à l'autre en tant qu'être humain capable de discernement, majeur et égal, mais dans laquelle ne peuvent être prises que des décisions majoritaires sur ce qui dépend de la capacité de discernement égale de tous les êtres humains devenus majeurs. Rudolf Steiner : GA 332a 4ème éd. p. 86 26 octobre 1919 |
Dès 1892, donc bien avant l'époque de la triarticulation, Steiner a formulé dans un article pourquoi cette diversité était si importante pour lui. Plus tard, il aurait probablement attribué ce domaine de la moralité, sur lequel il écrivait, à la vie de l'esprit : |
C'est précisément lorsque chacun donne à l'ensemble ce que nul autre ne peut lui donner, mais seulement lui, qu'il accomplit le plus pour lui. Rudolf Steiner : GA 31 3e éd. p. 169 10 octobre 1892 |
En économie également, Steiner considérait que les décisions prises à la majorité ne conduisaient pas au but, mais que la mise en commun la plus judicieuse possible des intérêts réciproques par le biais d'associations et de contrats était préférable : |
La plupart de ceux qui participent à de telles discussions ne se doutent pas que la démocratie et l'organisation sociale de la vie sont deux pulsions inhérentes à l'être humain des temps modernes. Ces deux impulsions agiront de manière inquiétante et destructrice dans la vie publique jusqu'à ce que l'on parvienne à des institutions dans lesquelles elles pourront s'épanouir, mais l'impulsion sociale qui devra vivre dans le circuit économique ne peut pas, de par sa nature, se manifester de manière démocratique. Ce qui compte pour lui, c'est que les humains tiennent compte des besoins légitimes de leurs semblables dans la production économique. Une réglementation du circuit économique exigée par cette impulsion doit être construite sur ce que les personnes qui font l'économie/gérent font les unes pour les autres. Mais cette action doit être basée sur des contrats qui émergent des positions économiques des humains qui font de l'économie. Rudolf Steiner : GA 24 2ème éd. p. 61 s. |
Sur le lien entre le peuple, la nation et l'État |
Steiner a dénoncé la volonté de Wilson de coupler l'État, la nation et le peuple. J'ajoute ces citations parce qu'elles sont utiles à la compréhension de la relation de Steiner avec Wilson, et non parce qu'elles ont un rapport direct avec les déclarations de Bierl. Elles constituent néanmoins la principale critique de Steiner à l'égard de Wilson et sont extrêmement importantes pour la compréhension de la triarticulation sociale : |
Avant tout, il ne faut pas oublier que certains concepts ont des significations très différentes en différents endroits du monde. Pensez donc que les gens parlent partout, disons, de l'État. Mais ce qui compte, ce n'est pas que l'on ait un certain concept de l'État, mais que l'on associe à ce concept au moins quelque chose des différentes nuances de sentiments qui se rattachent ici ou là à cet État, et que l'on se débarrasse avant tout de l'amalgame malheureux entre l'État, la nation et le peuple, de cet amalgame malheureux qui est une caractéristique fondamentale du wilsonisme, qui associe toujours l'État, la nation et le peuple, et qui veut même fonder des États sur la base des nations, ce qui ne ferait que perpétuer le mensonge dans certains courants, du moins si cela était possible. Rudolf Steiner : GA 185a 4ème éd. p. 78 15 novembre 1918 |
Dans les fameux 14 points de Wilson, cette manière de penser est particulièrement évidente dans les 9e, 11e et 13e revendications. Certes, sa préoccupation semble être la paix, mais le lien entre l'État et la nationalité, remarqué par Steiner, est déterminant dans chaque exemple : |
IX. Il faudrait procéder à une rectification des frontières de l'Italie selon les lignes clairement identifiables de la nationalité. |
XI. La Roumanie, la Serbie et le Monténégro devraient être évacués ; les territoires occupés devraient être restaurés ; un accès libre et sûr à la mer devrait être accordé à la Serbie ; et les relations entre les différents États balkaniques devraient être déterminées par une entente amicale selon les lignes fondamentales d'appartenance et de nationalité établies par l'histoire. Des garanties internationales devraient également être données pour l'indépendance politique et économique ainsi que pour l'inviolabilité territoriale des différents États balkaniques. |
XIII. Un État polonais indépendant devrait être établi, comprenant les territoires habités par des populations polonaises incontestées, auquel serait assuré un accès libre et sûr à la mer et dont l'indépendance politique et économique et l'inviolabilité territoriale seraient garanties par des accords internationaux. |
Pour le 13e point, dont faisait partie la question de la Haute-Silésie, Steiner avait une proposition différente de celle de Wilson. La Haute-Silésie pourrait constituer une région propre et pacifique si elle séparait la culture, l'État et l'économie. Cela permettrait une véritable séparation entre la nation et l'État, qui préviendrait les conflits : |
Ici, deux cultures, deux individualités nationales qui s'interpénètrent, se disputent la possibilité de s'exprimer. L'enseignement et la justice sont les principaux points de friction. Seule la libération de la vie de l'esprit permettra de résoudre ces questions brûlantes, notamment en Haute-Silésie. Les deux cultures, allemande et polonaise, pourront alors se développer côte à côte en fonction de leurs forces vitales, sans que l'une ait à craindre d'être violée par l'autre, et sans que l'État politique prenne parti pour l'une ou l'autre. Chaque nationalité créera non seulement ses propres établissements d'enseignement, mais aussi ses propres corps administratifs pour la vie culturelle, de sorte que les frictions seront exclues. - Et si le circuit économique de la Haute Silésie était détaché de l'État politique, les questions économiques de la Haute Silésie pourraient être intégrées dans l'économie européenne globale et ne pourraient être résolues que par des accords entre les gens de l'économie des pays concernés. Dans le cadre du présent, ce qui suit est donc la seule réalité possible : la région de Haute-Silésie refuse provisoirement d'être rattachée à un État limitrophe, jusqu'à ce que la compréhension de la triarticulation y soit éveillée. Elle se constitue de telle sorte que ses facteurs économiques se gèrent eux-mêmes, tout comme ses facteurs spirituels. Il se construit une harmonisation des deux par un organisme juridico-policier provisoire qui ne s'étend que sur son territoire et reste dans cet état jusqu'à la clarification de l'ensemble des rapports européens. Rudolf Steiner : GA 24 2ème éd. p. 474 s. janvier 2021 |
Steiner a reconnu que les liens du sang avaient autrefois joué un rôle pour les États, mais il les a considérés comme dépassés. Autrefois, ils avaient leur rôle à jouer, mais avec l'évolution générale de l'humanité, ils étaient en fait sur la pente descendante. Depuis l'événement du Christ, il appartient désormais aux humains de remplacer ces liens de sang par leurs propres liens spirituels : |
(l'Esprit du temps Michel serait) le gouverneur du Christ, de l'impulsion du Christ, qui revient à créer des liens spirituels entre les humains à la place des simples liens naturels du sang, car ce n'est que par des liens spirituels d'appartenance que l'on fera entrer du progrès dans ce qui est en train de tomber, ce qui est tout à fait naturel. Je dis : le déclin est naturel. Car de même que l'humain, lorsqu'il arrive à la vieillesse, ne peut pas rester un enfant, mais entre avec son corps dans une évolution descendante, de même l'humanité entière est entrée dans une évolution descendante. Nous avons dépassé la quatrième période, nous en sommes à la cinquième ; la sixième et la septième seront, avec la cinquième, l'âge de l'évolution mondiale actuelle. Croire que les anciens idéaux peuvent survivre est tout aussi stupide que de croire que l'humain doit apprendre à épeler tout au long de sa vie, parce qu'il est bon pour l'enfant d'apprendre à épeler. Il serait tout aussi intelligent de vouloir parler à l'avenir d'une structure sociale qui s'étendrait sur toute la terre sur la base de la consanguinité des peuples. C'est certes du wilsonianisme, mais c'est en même temps de l'ahrimanisme, c'est l'esprit des ténèbres. Rudolf Steiner : GA 177 8e éd. p. 221 26 octobre 1917 |
C'est sous l'influence du napoléonisme, du premier Napoléon, que s'est développée avec une grande clarté cette aspiration des humains à la race, à la nation, qui s'exprime aujourd'hui d'une manière si incompréhensible par le wilsonisme. C'est en effet quelque chose de tout à fait terrible que la manière dont les humains aspirent aujourd'hui à se fondre dans les races et les peuples, et dont ils veulent au fond enterrer tout cosmopolitisme. Mais cela vient du fait que ce passage par le lieu du seuil existe justement. Rudolf Steiner : GA 346 2ème éd. p. 206 18 septembre 1924 |