La triarticulation - Possibilités d'action et responsabilités

03.10.2022
Traduction F. Germani, v.01 le19/11/2022 - original allemand : https://www.dreigliederung.de/essays/2022-10-fionn-meier-soziale-dreigliederung-wirkungsmoeglichkeiten-und-verantwortlichkeiten

Source

Première publication dans la revue "Ein Nachrichtenblatt", année 12, cahier 16, 14.08.2022, p. 1-6 sous le titre "La tripartition était liée à une courte période" - ! ?

Dans le bulletin d'information n° 15, sous le titre "La triarticulation était liée à une courte période", on trouve la déclaration de Rudolf Steiner, rapportée par Polzer Hoditz, qu'il aurait faite lors du cours d'agriculture du 11 juin 1924 à Koberwitz :

"L'Europe centrale a manqué le moment où elle aurait pu intervenir de manière ordonnée avec la triarticulation. Aujourd'hui, il est trop tard pour l'Europe centrale. La triarticulation était liée à une courte période pendant laquelle elle aurait pu sauver l'Europe centrale. Seul l'Occident pourrait encore faire quelque chose avec la triarticulation".

Cette déclaration peut soulever différentes questions. Par exemple : "Pourquoi la période pendant laquelle la triarticulation aurait pu sauver l'Europe centrale était-elle alors terminée ?" Ou : "Cela signifie-t-il qu'il ne vaut plus la peine de s'occuper de l'idée de la triarticulation de l'organisme social en Europe centrale ?" Ou encore : "Pourquoi l'Occident peut-il encore faire quelque chose avec la triarticulation ?

Dans ce qui suit, nous tenterons d'apporter quelques éclairages sur ces questions en faisant appel à d'autres déclarations de Rudolf Steiner.

Possibilités d'action

En ce qui concerne la première question, il existe plusieurs indications claires de Rudolf Steiner sur les raisons qui l'ont amené à cette évaluation de la situation. Lorsqu'il donna ses conférences sur la pédagogie à Oxford en été 1922, il les termina par trois conférences sur la "question sociale". En ce qui concerne les efforts de triarticulation en Allemagne, il déclara ce qui suit le 28 août 1922 :

"Pour cette raison, je pense que si mes "points essentiels de la question sociale" sont aujourd'hui presque oubliés en Allemagne - c'est un peu exagéré, mais c'est presque le cas -, s'ils sont aujourd'hui presque oubliés en Allemagne et ont trouvé en 1919 une diffusion immensément rapide, c'est tout à fait naturel. Car le moment où l'on devait réaliser ce qui est écrit dans les "Points essentiels de la question sociale" est passé pour l'Europe centrale. Il est passé au moment où s'est produite cette forte baisse des valeurs qui lie complètement les mains de l'économie allemande".

A cette époque, la dévaluation monétaire battait son plein en Allemagne. Les dépenses de guerre élevées et le remplacement du mark par l'étalon-or avaient à eux seuls entraîné l'inflation. Avec les réparations imposées à l'Allemagne par les accords de Versailles en 1919, l'hyperinflation ne pouvait plus être stoppée. En 1923, on ne comptait plus avec 1 mark, mais avec un billion de marks !

Environ un mois avant les conférences d'Oxford, du 24 juillet au 6 août, Rudolf Steiner a tenu à Dornach le "Cours d'économie nationale", dans lequel il a exposé les bases d'une future science économique. Il y évoqua également le déclin de la valeur en Allemagne et les conséquences que celui-ci a sur les efforts de triarticulation.

Dans ce contexte, il est clair que Rudolf Steiner ne voulait pas mettre en veilleuse les efforts sociaux en Europe centrale, même si les efforts de triarticulation n'étaient pas couronnés de succès. Il voulait seulement attirer l'attention sur le fait que ceux-ci devaient désormais être abordés différemment :

"Je ne veux aujourd'hui que caractériser extérieurement : le plus important était que l'on ait d'abord fait entrer la triarticulation dans le plus grand nombre possible d'esprits, avant que n'apparaissent les conséquences économiques qui se sont produites depuis lors. Vous devez vous rappeler que lorsque la triarticulation a été mentionnée pour la première fois, nous n'étions pas encore confrontés aux difficultés de valeur/devise d'aujourd'hui ; au contraire, si la triarticulation avait été comprise à l'époque, elle n'aurait jamais pu voir le jour. Mais à nouveau, on se trouvait devant l'impossibilité pour les humains de comprendre une telle chose dans un sens vraiment pratique. On essayait alors de faire comprendre la triarticulation, mais les gens demandaient : oui, tout cela serait bien, nous le comprenons aussi ; mais la première chose est que nous travaillons contre le déclin de la valeur. - On ne pouvait que dire aux gens : "C'est dans la triarticulation ! Mettez-vous à l'aise avec la triarticulation, c'est le seul moyen de travailler contre le déclin de la valeur ! - Les gens demandaient justement comment on faisait, ce qu'aurait dû justement atteindre la triarticulation. Ils ne comprenaient donc pas la triarticulation, même s'ils le prétendaient toujours.

Aujourd'hui, la situation est telle que l'on doit dire que si l'on s'adresse à nouveau aujourd'hui à des personnalités telles que vous, on ne peut plus parler dans les mêmes formes qu'autrefois, mais qu'un autre langage est aujourd'hui nécessaire. Et c'est ce que je voudrais vous donner maintenant dans ces conférences. Je voudrais vous montrer comment on doit à nouveau penser aujourd'hui à ces questions, notamment quand on est jeune et qu'on peut encore participer à ce qui doit se former un jour dans les temps à venir." - Dornach, 24.07.1922.

Si l'on lit cette conclusion, il est clair que Rudolf Steiner n'a pas appelé au retrait dans le "beau-spirituel anthroposophique". La situation est réévaluée et il est vu que, pour devenir salutairement efficace dans les événements sociaux contemporains, un nouveau langage doit être trouvé.

Dans ce cours d'économie de quatorze jours, Rudolf Steiner a travaillé sur les phénomènes de la vie économique avec la méthode de connaissance goethéenne. Ainsi, tous les humains ont aujourd'hui la possibilité d'acquérir une compréhension de ce qu'est réellement l'essence de la marchandise, du travail, du capital et de l'argent et de la manière dont ils interagissent. C'est essentiellement l'"autre langage" dont Rudolf Steiner espérait qu'il lui permettrait de continuer à agir dans le monde.

En comparant le contenu du livre "Kernpunkte der sozialen Frage (Les fondements de la question sociale)" avec le contenu du "Cours d'économie", on peut observer ce qui suit. Grâce à la caractérisation goethéenne de la naissance et de l'efficacité du capital dans le contexte économique, il devient évident que le capital doit être géré par une vie de l'esprit libre s'il doit devenir fructueux pour la vie de l'économie. Dans l'approche goethéenne de l'essence de l'argent, il apparaît également clairement que celui-ci, s'il ne doit pas être un élément perturbateur qui fausse les prix des marchandises, ne doit pas être géré par l'État, mais uniquement par les participants à la vie de l'économie eux-mêmes. Etc.

En d'autres termes, si l'on compare ces idées élaborées dans le Cours d'économie nationale avec les "idées originelles" décrites dans le livre "Kernpunkte der sozialen Frage", il apparaît clairement que les deux décrivent la même chose. Seul le point de départ est différent.

Si l'on veut gravir une montagne, on peut le faire depuis différentes directions. Mais si l'on arrive au sommet, la vue est la même.

Pour Rudolf Steiner, il y avait cependant d'autres raisons que l'inflation pour lesquelles la montagne devait être gravie depuis un autre côté. Dans d'autres contextes, Rudolf Steiner a attiré l'attention sur le fait qu'en Europe centrale, un fort changement dans l'attitude intérieure de la population s'est produit en peu de temps. De plus, ce n'est pas seulement l'économie qui était à terre, mais aussi la politique. Alors que jusqu'à un certain moment, il était encore possible d'agir par la politique en faveur de la triarticulation, cela n'a plus été possible par la suite.

"Tout ce qui vient aujourd'hui de l'anthroposophie en la matière se trouve sur le terrain de la réalité et vise toujours à ne pas quitter le terrain de la réalité. Le mouvement de la triarticulation a commencé au printemps 1919, à une époque où une grande partie de la population d'Europe centrale était dans l'expectative. Ce sentiment d'attente était certes répandu de différentes manières, mais il y avait un tel sentiment, je voudrais simplement l'exprimer ainsi, qu'un grand nombre de personnes croyaient que nous étions jetés dans le chaos et que nous devions progresser par une harmonisation raisonnable des forces sociales. Ce sentiment était largement répandu lorsque j'ai commencé à travailler pour la triarticulation en avril 1919. Or, à l'époque, j'ai très souvent conclu, en me basant sur la forme que je donnais à mes conférences sur la triarticulation, que ce qui y était signifié devait être mis en pratique très rapidement, car il pourrait être trop tard très bientôt, et vous pouvez très souvent trouver cette formule "il pourrait être trop tard très bientôt" dans les conférences réécrites à l'époque. C'était l'époque où l'on aurait pu faire quelque chose sous la forme que j'ai formulée, si les opposants n'avaient pas été trop nombreux, s'ils n'étaient pas devenus trop puissants. Or, les choses sont ainsi : Depuis cette époque, une terrible vague réactionnaire s'est levée en Europe centrale, beaucoup plus forte qu'on ne le pense, et il faut prendre cela au sérieux. La triarticulation n'est pas touchée en tant que principe - c'est permanent - mais elle ne peut plus être réalisée de la même manière qu'on voulait la réaliser à l'époque. Ce qui est pensé à partir du réel de l'époque est pensé pour l'époque, et on en arriverait à l'abstrait si on ne voulait pas reconnaître une telle chose". (16.06.1921, Stuttgart, GA 342)

"Discuter maintenant de la situation générale n'est pas si facile, parce que s'applique la chose que j'ai dite une fois avec une netteté toujours renouvelée, alors que je tenais ici les conférences sur la triarticulation : Il faut faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard. Il est aujourd'hui trop tard pour obtenir quoi que ce soit dans le domaine de ce que l'on a appelé jusqu'à présent en Europe la politique. La seule incitation que j'ai donnée a été la transformation de l'ancienne Fédération de la triarticulation en "Féderation pour une vie de l'esprit libre". Cette incitation partait du constat qu'à l'avenir, on ne peut faire quelque chose pour l'Europe et pour la civilisation occidentale actuelle que par la promotion de la vie de l'esprit en tant que telle. C'est de là que doit partir tout le reste. Aussi bien les choses qui sont faites économiquement sous le régime actuel que toutes les impulsions politiques sont aujourd'hui impuissantes". (31.01.1923, Stuttgart, GA 300b)

A partir de 1921, Rudolf Steiner considérait que la possibilité d'agir en faveur de la triarticulation était fortement limitée. Il continuait cependant à avoir l'objectif suivant en tête : "Triarticulation de l'organisme social". Il envisageait maintenant d'atteindre cet objectif en Europe centrale simplement par un autre moyen :

"Il faut seulement espérer que l'on puisse d'abord rassembler les derniers restes d'impulsions spirituelles pour tenter cette libération de la vie de l'esprit dans le domaine religieux, dans le domaine de l'art et dans le domaine scientifique. Ce sont là les trois sous-formes ; chacun des trois membres a à son tour trois sous-domaines. Le domaine spirituel a pour sous-domaines la religion, la science et l'art. Si l'on parvient à libérer la vie de l'esprit dans ces domaines, alors, peut-être plus tôt que nous ne le pensons, il se trouvera d'eux-mêmes, à partir du modèle de la vie de l'esprit libre et libérée, des gens qui auront aussi une compréhension pour l'égalité dans la vie de l'État et pour la fraternité dans la vie de l'économie". (16.06.1921, Stuttgart, GA 342)

S'engager pour une vie de l'esprit libre reste cependant une tâche sociopolitique : l'État et l'économie doivent être remis à leur place ! Cette tâche peut être entreprise à tout moment. Rudolf Steiner espérait justement que l'école Waldorf nouvellement créée contribuerait à la libération de la vie de l'esprit :

"Si ceux qui s'enthousiasment pour les idées de l'école Waldorf ne développent même pas assez de compréhension pour comprendre que cela fait partie de la propagande contre la dépendance de l'école vis-à-vis de l'État, s'ils s'engagent de toutes leurs forces pour que l'État détache cette école, s'ils n'ont pas aussi le courage d'aspirer au détachement de l'école vis-à-vis de l'État, alors tout le mouvement de l'école Waldorf ne sert à rien, car il n'a de sens que s'il grandit dans une vie de l'esprit libre". (12.10.1920, Dornach, GA 337b)

Les points de vue cités ci-dessus montrent clairement que Rudolf Steiner cherchait à chaque fois le meilleur point de départ pour s'élever jusqu'au sommet où l'articulation de la société en une vie de l'esprit libre, une vie économique associative et une vie juridique basée sur l'égalité serait atteinte. Car cette articulation est absolument nécessaire à la poursuite salutaire de l'évolution de l'humanité :

"C'est pourquoi la science de l'esprit se trouve en pleine conscience dans toute la gravité de la situation mondiale actuelle, elle sait quel grand combat se déroule entre ce qui peut venir de la science de l'esprit comme impulsions sociales de la triarticulation et ce qui se jette contre cette triarticulation comme une vague bolchevique qui conduirait au malheur de l'humanité. Et il n'y en a pas de troisième à côté de ces deux-là. C'est entre ces deux-là que doit se dérouler la lutte. Il faut le reconnaître". (Dornach, 17.10.1920, GA 200).

Le bolchevisme de Trotski et Lénine dans la Russie de l'époque n'était qu'une variante du "bolchevisme" dont parle ici Rudolf Steiner. Steiner considérait toute organisation de la société à partir de l'intellect pur comme du bolchevisme. C'est ainsi qu'il qualifiait par exemple Johann Gottlieb Fichte de bolcheviste en rapport avec son livre "L'État commercial fermé" :

"Il ne sera pas possible de nier que Johann Gottlieb Fichte était l'un des penseurs les plus énergiques des temps modernes. On ne pourra pas non plus nier qu'il était un idéaliste au sens le plus authentique du terme. Mais Johann Gottlieb Fichte a également exprimé sa vision socialiste dans un petit ouvrage complet, son "État commercial fermé". Du point de vue du contenu, si l'on regarde comment se présenterait dans la réalité ce que Fichte présente là comme une sorte d'image idéale de l'état social, on ne peut que dire : si cet idéal social, que Fichte présente dans son petit livre complet "L'État commercial fermé", se réalisait, il s'agirait du bolchevisme". (02.03.1919, GA 189)

On comprend ainsi pourquoi il n'existe que les deux alternatives "tripartition ou bolchevisme". Peu importe que le bolchevisme se présente sous la forme du "communisme", du "Great Reset" ou de la "politique verte". L'intellect pur, qu'il soit orienté vers le matérialisme ou l'idéalisme, ne peut que détruire la réalité sociale vivante ! La réalité sociale ne peut être appréhendée qu'à l'aide de la méthode de la science de l'esprit. Cette nécessité permet également de comprendre la conclusion du Cours d'économie nationale. Dans la dernière des quatorze conférences, Rudolf Steiner indique avec insistance comment, à l'aide d'une telle pénétration de la réalité sociale par la science de l'esprit, des pensées sont données au monde, pensées qui sont nécessaires à la reconstruction de la vie de l'humanité :

"Il y a aujourd'hui dans le monde beaucoup de choses qui, en tant que phrases d'agitation, causent des dommages terribles, parce qu'il y a si peu d'humains qui ont la volonté sérieuse d'entrer dans les réalités. C'est pourquoi j'ai été très satisfait que vous soyez venus ici et que vous ayez voulu vous occuper avec moi pendant quinze jours, afin de réfléchir au domaine de l'économie politique/de peuple. Je vous en remercie de tout cœur ; car je peux exprimer ces remerciements parce que je crois savoir quelle est l'importance du fait que précisément ceux qui se trouvent aujourd'hui dans la vie en tant qu'universitaires dans le domaine de l'économie de peuple pourront contribuer énormément à l'assainissement de notre vie culturelle, à la reconstruction de la vie de l'humanité". (Dornach, 06.08.1922).

Cette citation montre clairement, comme peu d'autres, que même après l'échec des premiers efforts de triarticulation, la pénétration cognitive de la réalité sociale doit absolument être poursuivie. C'est là que Rudolf Steiner plaçait son plus grand espoir !

Une autre déclaration, dans laquelle Rudolf Steiner affirme également que le travail de connaissance concernant l'organisme social est toujours nécessaire, montre qu'il n'a pas changé d'avis à ce sujet, même après le congrès de Noël :

"La partie du mouvement de la triarticulation qui aurait dû être réalisée de manière purement pratique, pour laquelle une collaboration pratique aurait été nécessaire, n'a tout d'abord pas fait ses preuves. En revanche, un vif intérêt pour ces impulsions se manifeste bien au-delà des frontières de l'Europe, notamment en Amérique. Permettez-moi d'utiliser ce mot qui a fait l'objet de tant de critiques : il s'agit justement de réalités dans la triarticulation. Il s'avère que ces impulsions sont de plus en plus saisies avec une certaine compréhension. Et c'est peut-être justement pour ces impulsions qu'il sera bon de ne pas essayer de les transposer de manière précipitée dans une pratique maladroite, mais de suivre ce que j'ai souvent dit au début de la fondation de notre revue "Anthroposophie" : La triarticulation ne peut agir que lorsqu'elle a pénétré dans le plus grand nombre possible de têtes. Nous avons constaté l'échec de l'application de la triarticulation à la pratique de la vie extérieure des humains, mais elle fera son chemin dans le monde comme quelque chose qui se trouve tout de même sur le terrain anthroposophique. Tous les signes montrent que c'est là que notre force doit être appliquée dans le champ spirituel anthroposophique". (15.07.1924, Stuttgart, GA 260a)

Responsabilités

Rudolf Steiner ne se contentait cependant pas de réévaluer sans cesse de quel côté la montagne pouvait être escaladée, il en arrivait aussi à prendre en considération certaines "responsabilités de peuple" et prédispositions que les différents peuples ont en ce qui concerne la réalisation de la triarticulation. Ces points de vue donnent d'autres indications sur ce que pourrait être un travail actuel sur la triarticulation.

Rudolf Steiner a par exemple souligné en décembre 1919 la différence entre la "responsabilité individuelle" et la "responsabilité du peuple". Après la défaite de l'Allemagne et les traités de Versailles, il jugeait cette dernière de la manière suivante :

"On peut maintenant se demander : puisque le peuple allemand sera exclu de l'expérience des choses par lesquelles le monde extérieur sera dominé à l'avenir, que se passe-t-il donc ? La responsabilité - pas celle de l'individu, bien sûr ! -, mais la responsabilité du peuple disparaît, la responsabilité pour les événements de l'humanité. Ce n'est pas la responsabilité de l'individu, mais la responsabilité du peuple qui disparaît chez ceux qui ont été piétinés, car c'est ce qu'ils sont. Ils ne peuvent pas non plus se relever. Tout ce qui est dit dans cette direction n'est que myopie. La responsabilité disparaît. La responsabilité est d'autant plus grande de l'autre côté. C'est là que se trouvera la véritable responsabilité". (Dornach, 14.12.1919. GA 194)

Cet autre côté, qui porte désormais la "responsabilité de peuple" pour les "événements de l'humanité", est, selon son évaluation, le monde anglo-américain. Lorsque Rudolf Steiner a lancé cet appel à la "responsabilité de peuple", des visiteurs d'Angleterre étaient présents. En présence des visiteurs anglais, il a expliqué comme suit quelles seraient les conséquences si cette responsabilité de peuple n'était pas assumée :

"Une vie économique telle que la vie anglo-américaine, qui devrait déboucher sur la domination mondiale, si elle ne se laisse pas pénétrer par la vie de l'esprit indépendante et la vie étatique indépendante, débouche sur le troisième des abîmes de la vie humaine, sur le troisième des trois. Le premier abîme est le mensonge, la dégénérescence de l'humanité par Ahriman. Le deuxième est l'égoïsme, la dégénérescence de l'humanité par Lucifer. Le troisième est, dans le domaine physique, la maladie et la mort ; dans le domaine culturel, la mort : La maladie culturelle ; la mort culturelle. Le monde anglo-américain peut conquérir la domination mondiale : sans la triarticulation, il déversera sur le monde, par cette domination mondiale, la mort culturelle et la maladie culturelle, car celles-ci sont autant un don des Asuras que le mensonge est un don d'Ahriman, que l'égoïsme est un don de Lucifer. Ainsi, la troisième chose, qui se place dignement à côté des autres, est un don des puissances asuriques ! Il faut tirer de ces choses l'enthousiasme qui doit nous inciter à chercher vraiment les moyens d'éclairer le plus grand nombre possible d'humains". (Dornach, 14.12.1919, GA 194)

La responsabilité de faire de la triarticulation une cause qui détermine les "événements de l'humanité" ne se situe plus en Europe centrale, mais en Occident. Les deux faits suivants sont intéressants et instructifs à cet égard. Premièrement, bien que Rudolf Steiner ait fait cette constatation en décembre 1919, il a continué à travailler jusqu'à l'été 1922 en Allemagne et en Suisse pour diffuser et mettre en œuvre l'idée de la triarticulation. Cela montre clairement que le travail pour la réalisation de la triarticulation est possible et utile même là où la "responsabilité de peuple" pour les événements de l'humanité n'est pas (ou plus) présente. Deuxièmement, il est remarquable que Rudolf Steiner, bien qu'il ait indiqué le 24 juillet 1922 pendant le cours d'économie à Dornach qu'un "nouveau langage était nécessaire", ait dit un peu plus d'un mois plus tard à Oxford le 28 août 1922 aux Anglais présents que les "points essentiels de la question sociale" devaient désormais être lus avant tout en Occident et en Russie :

"C'est pourquoi je pense qu'à l'avenir mes "points essentiels" devraient être davantage lus en Occident et en Russie, qu'en Allemagne ils se trouvent aujourd'hui en fait sans possibilité d'action. Car en Occident, par exemple, on peut malgré tout voir beaucoup de choses dans ce livre, car il montre sans utopie comment les trois éléments doivent se côtoyer et s'imbriquer les uns dans les autres. Pour l'Occident, le moment est tout à fait indifférent, car il y a encore beaucoup à faire en ce qui concerne l'articulation correcte des trois courants, vie de l'esprit, vie de l'économie, vie étatique et juridique". (28.08.1922, Oxford, GA 305)

Cela montre clairement que, même si ce langage parlé dans les "Points essentiels de la question sociale" n'est plus d'actualité, les "pensées originelles" qui y sont contenues et qui rendent visibles la saine articulation et la collaboration de la vie de l'esprit, de la vie de droit et de la vie de l'économie, peuvent toujours être extraites de ce livre. En ce qui concerne la triarticulation, Rudolf Steiner voyait justement en Occident une prédisposition particulière à former le mode de pensée nécessaire à l'organisation d'une économie associative :

"Mais alors apparaît en Occident une culture qui provient d'une constitution d'âme où le Je est absorbé, se déroule en dessous du niveau de la pensée, du sentiment et de la volonté, où l'on parle d'associations dans la vie de représente tatio n, dans la vie de sensation. On ne devrait appliquer cette pensée qu'à la vie de l'économie ! C'est là qu'elle est à sa place. On s'est complètement trompé en l'appliquant d'abord à autre chose qu'à la vie de l'économie. C'est là qu'elle est grande, c'est là qu'elle est géniale, et si Spencer, si John Stuart Mill, si David Hume, s'ils avaient tous appliqué aux institutions de la vie de l'économie ce qu'ils ont gaspillé en philosophie, cela aurait été grandiose". (17.10.1920, Dornach, GA 200)

Si l'Occident parvenait à appliquer correctement cette disposition et à réaliser ainsi une vie économique associative, les bases d'une nouvelle entente entre l'Orient et l'Occident seraient ainsi données :

"Au fur et à mesure que la civilisation progresse vers l'Occident, l'industrie devient un élément autonome dans la gestion de l'économie. On ne peut produire des biens de manière fructueuse que si l'on vit avec les humains avec lesquels on doit travailler dans la production, dans une relation correspondant aux capacités et aux besoins humains. L'épanouissement de l'être industriel exige des liens associatifs conçus à partir de la vie de l'économie, dans lesquels les humains savent que leurs besoins sont satisfaits, dans la mesure où les conditions naturelles le permettent. La tâche de l'Occident est de trouver la bonne vie associative. S'il se montre à la hauteur, l'Orient dira : notre vie s'écoulait autrefois dans la fraternité ; elle s'est affaiblie au fil du temps ; le progrès de l'humanité nous l'a enlevée. L'Occident la fait refleurir à partir de la vie économique associative. Il restaure la confiance disparue dans la véritable humanité". (01.06.1922, Vienne, GA 83)

Pendant que cela met en lumière les possibilités et les tâches de l'Occident, la question peut maintenant se poser de savoir s'il existe d'autres "responsabilités" concernant la question sociale qui n'incombent pas au "peuple anglo-américain". Voici quelques réflexions à ce sujet.

Le phénomène originel de la "triarticulation de l'organisme social" est l'un des plus beaux fruits de la vie de l'esprit d'Europe centrale. L'élaboration de l'idée de la triarticulation n'a pas commencé avec Rudolf Steiner. Par exemple, Wilhelm von Humboldt avait élaboré les premières ébauches d'une vie de droit dans l'esprit de la triarticulation dans son livre "Ideen zu einem Versuch, die Grenzen der Wirksamkeit des Staates zu bestimmen (Idées pour un essai pour définir les limites de l'efficacité de l'État)". Selon Rudolf Steiner, les écrits de science de la nature de Goethe, dans lesquels le mode de pensée juridique et dialectique est surmonté, révèlent les germes d'une vie de l'esprit libre. Avec la présentation des pensées originelles de l'"organisme social", Rudolf Steiner a poursuivi ce développement et a fourni pour la connaissance de la réalité sociale ce que Goethe avait fourni pour la plante.

Cette connaissance du monde social, créée en Europe centrale, est nécessaire à la réalisation de la triarticulation. Alors que l'Occident a une prédisposition pour la vie économique associative, il lui manque cependant la prédisposition pour la compréhension des deux autres membres de l'organisme social. Il en découle aussi une tâche et une immense responsabilité qui incombe à "l'Europe centrale" selon Rudolf Steiner :

"Ce serait l'une des catastrophes les plus terribles que la terre pourrait vivre si un jour l'Europe centrale était appelée - que l'extérieur ait l'air d'une chose ou d'une autre - si l'appel était lancé : "Nous avons besoin de cette vie de l'esprit !" et qu'en Europe on passerait négligemment à côté de cet appel, parce qu'on ne pourrait pas l'apprécier soi-même, cette vie de l'esprit de l'Europe centrale". (07.09.1923, Stuttgart, GA 259)

Mais la collaboration entre les différents peuples peut être pensée de manière encore plus globale. En 1918, Rudolf Steiner écrivit une préface à son cycle "Die Mission der einzelnen Volksseelen" (La mission des différentes âmes du peuple), dans laquelle il écrit : "Il est... d'une importance toute particulière... que l'on parle aussi, précisément à notre époque, de la manière la plus impartiale possible, de ce que nous appelons la mission des différentes âmes de peuple de l'humanité... parce que les prochains destins de l'humanité réuniront les humains en une mission commune de l'humanité à un degré bien plus élevé que ce n'était le cas jusqu'à présent". Rudolf Steiner voit des prédispositions spécifiques dans les différents peuples du monde. Pour la Suisse, il voit par exemple la possibilité de créer une nouvelle vie de droit dans le sens de la triarticulation, car ici le droit romain s'est brisé sur les montagnes (GA 339). Afin que les prédispositions respectives ne se développent pas en unilatéralité, il est cependant d'une importance capitale que se trouvent, au niveau international, les humains qui travaillent à la triarticulation et qui peuvent ainsi s'aider et se soutenir mutuellement.

Le titre choisi pour la citation dans le bulletin d'information n° 15, "La triarticulation était liée à une courte période", nourrit en revanche un malentendu fatal, que l'on rencontre malheureusement toujours dans les contextes anthroposophiques : les efforts de triarticulation ont échoué. Celui qui continue à s'en occuper est resté bloqué dans le passé. La phrase entière de Rudolf Steiner était pourtant la suivante : "La triarticulation était liée à une courte période pendant laquelle elle aurait pu sauver l'Europe centrale".

Cette époque est effectivement révolue et celui qui penserait pouvoir défendre la triarticulation pour sauver l'Europe centrale serait en fait dépourvu de tout bon esprit. Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas de sauver l'Europe centrale, mais de sauver l'humanité entière du bolchevisme et de la mort culturelle. Pour cela, la triarticulation est absolument nécessaire, car il n'y a - cela deviendra de plus en plus visible aujourd'hui et à l'avenir - qu'un "ou bien/ou bien". Aujourd'hui, dans le monde entier, chaque être humain participe à l'issue de cette décision, qu'il en soit conscient ou non.

Chez Rudolf Steiner, on trouve une indication temporelle pour la triarticulation qui coïncide avec la période pendant laquelle Michael est le leader de l'esprit du temps (1879 - env. 2300) :

"Et parmi les questions qu'il [un Américain, note de l'auteur] a posées et qui étaient toutes très intelligentes, il y avait aussi la suivante, qui m'a particulièrement réjoui : Eh bien, la triarticulation, on peut très bien la voir pour l'époque actuelle ; on peut voir que maintenant la triarticulation est nécessaire, qu'elle doit prendre la place de l'ancien État unitaire. Pensez-vous que la triarticulation soit la solution ultime et définitive de la question sociale ? - C'était une question très intelligente. J'ai pu lui répondre : je ne le crois pas du tout. Mais au cours de l'évolution historique, il s'est avéré au cours des siècles passés que l'État unitaire s'est davantage développé. Maintenant, la triarticulation est devenu nécessaire en raison de l'exigence du temps. Et il viendra à nouveau un temps où la triarticulation devra être surmonté. Mais ce n'est pas l'époque actuelle, c'est l'époque des trois ou quatre siècles à venir. Il faudra alors à nouveau réfléchir à la manière de dissoudre la triarticulation". (28.09.1919, Stuttgart, GA 192)

Pour cette tâche, l'esprit du temps cosmopolite est donc aux côtés de Michael pour l'aider. Michael n'est cependant pas seulement l'esprit du temps du cosmopolitisme, mais aussi de la libre initiative. Si cette tâche de Michael de la "tri-articulation de l'organisme social" est saisie par un nombre croissant d'humaine s dans le monde entier dans le cadre d'une initiative libre, il existe encore aujourd'hui la possibilité que la tri-articulation puisse se réaliser à la place de la maladie et de la mort culturelle.