Un parti pour la tri-articulation ?

10.04.2021

Source : Journal "Kernpunkte" (Points clefs) Année 4, cahier 6, 10.04.2021, pp. 1-4 Version révisée, en date du 12.04.2021 - reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur. trad. F. Germani v.01 -02/05/2021

Note bibliographique

En Allemagne, le parti "dieBasis" (la base) a été fondé, dans le programme duquel apparaissent des idées de la tri-articulation sociale de Rudolf Steiner. Est-il possible d'œuvrer comme parti pour la tri-articulation ? Quelques considérations basées sur des déclarations de Rudolf Steiner.

Les mesures Corona sévères du gouvernement allemand et l'absence d'opposition au sein des partis établis en Allemagne ont incité plusieurs personnes à former un nouveau parti.

Le premier de cette série de formations de partis est probablement Bodo Schiffmann, qui a fondé le parti "Résistance 2020" au printemps 2020. L'objectif du parti était d'abroger les mesures Corona. Le nombre de membres a rapidement augmenté et un programme de 20 pages a également été élaboré. Dans ce document, on ne se contente plus d'affirmer que l'on veut abroger les mesures Corona, mais on prend également position sur des questions de politique éducative, de politique environnementale, de politique européenne, de politique fiscale, de politique en matière de drogues, et bien plus encore.

Par exemple, il a été demandé que le système éducatif en Allemagne soit centralisé afin qu'il y ait plus d'égalité des chances. En outre, des programmes de recherche gouvernementaux devraient être étendus pour une économie plus verte. Dans le cadre de la politique en matière de drogues, il a été exigé que des substituts contrôlés médicalement soient mis gratuitement à disposition pour les drogues dures, etc. etc.

Aussi vite que le parti a grandi, il a implosé. Dans une vidéo YouTube (malheureusement devenue introuvable pour moi), Schiffmann nous disait, un peu désabusé, qu'il avait démissionné du parti parce qu'il ne voulait pas faire partie d'un parti qui passait plusieurs semaines à se disputer sur le logiciel à utiliser pour la gestion des membres !

Pour Rudolf Steiner, ce qui peut être considéré comme symptomatique dans ce cas s'applique en principe à tous les partis :

"Lorsque j'ai pris la parole à Mannheim avant-hier, un monsieur est apparu en dernier qui a dit : ce que Steiner a dit là est bien, mais pas ce que nous voulons. Nous ne voulons pas d'un nouveau parti en plus de tous les anciens partis. Les personnes qui veulent une telle chose devraient rejoindre les anciens partis et y travailler. - À cela, je ne peux que répondre : il y a longtemps que je suis de très près la vie politique, alors que le monsieur qui a parlé était loin d'être né. Et bien que je me sois familiarisé avec tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, a fonctionné socialement comme une force au cours de ma vie, je n'ai jamais travaillé au sein d'un parti ou pu m'y tenir, et il ne me vient pas à l'esprit maintenant, à la fin de ma sixième décennie de vie, de devenir en quelque sorte un homme de parti. J'aimerais ne rien avoir à faire ni avec un autre parti ni avec un parti fondé moi-même. Donc, pas même avec un autofondé. Personne ne doit craindre qu'un nouveau parti soit fondé par moi, car j'ai appris que tout parti devient insensé par nécessité naturelle après un certain temps, simplement en ne s'impliquant jamais dans aucun parti. Et j'ai appris à regretter les personnes qui ne voient pas clair dans tout cela."[1]

À titre d'exemple, Rudolf Steiner relate ce qu'il a observé au sein du parti libéral en Autriche, dont il a suivi de près l'ascension :

"C'était donc un parti libéral. Mais lorsque ce parti libéral a voulu s'affirmer au sein du système étatique autrichien existant, il a adopté une étrange désignation : "L'opposition la plus fidèle de votre Majesté". C'était une épithète officielle pour l'opposition dans l'État autrichien monarchique".

Ce phénomène que des partis perdent leur impulsion originelle et deviennent insensés peut être étudié à de nombreuses reprises aujourd'hui dans les partis établis. Dans le parti libéral, qui prône l'enseignement public au lieu d'un système d'éducation libre, dans les Verts, qui prônent une armée respectueuse du climat, dans le parti social allemand, qui a appelé à la vie l'inhumain Hartz IV.

Dans le contexte de la politique Corona actuelle, le parti "dieBasis" a également été fondé en Allemagne le 4 juillet 2020. Dans son programme-cadre, on retrouve l'idée de la tri-articulation sociale dans ses trains de fond :

1.1 Démêlage des domaines spirituels culturels, juridique et économique.

Le domaine spirituel-culturel, auquel appartiennent l'éducation, la recherche et la science, la médecine, la culture, le sport public tout comme les médias, ne doit pas être déterminé par des intérêts économiques ou de pouvoir politique, mais doit préserver ou maintenir la liberté et l'autonomie.

Le domaine juridique de la politique et de l'État de droit régit la coexistence sociale selon les principes d'égalité et d'équilibre de la justice. Nous nous engageons à garantir la participation universelle et directe des citoyens à la vie politique par le biais de procédures démocratiques de base, ainsi qu'un accès facile à la justice pour tous.

Le domaine économique repose sur la collaboration et la solidarité. Puisqu'une économie n'est durable que si elle est à la fois sociale et écologique, l'État devrait établir des cadres économiques et des incitations fiscales grâce auxquels l'activité économique sert le bien commun social et écologique. "[2]

Est-ce une lueur d'espoir à l'horizon ? Ou ce parti est-il également condamné dès le départ à devenir "fou" dans un avenir prévisible ? Peut-on travailler comme parti pour la tri-articulation ?

Rudolf Steiner était un praticien de bout en bout. Ceci est également évident dans le fait qu'il ne considère plus seulement ce côté négatif des partis, mais souligne également qu'ils peuvent être opportuns afin d'avoir un effet sur la vie sociale :

"Des partis naissent, ont une certaine durée de vie, qui est relativement courte, puis ils meurent. Mais ils restent, en un sens, s'ils sont déjà des cadavres, toujours vivants en tant que cadavres ; ils n'aiment pas volontiers mourir. Mais ça ne fait pas de mal. Même s'ils ont perdu leur signification initiale, ils restent un lieu de rassemblement pour les humains, et il est toujours bon qu'ils soient là pour que les humains ne se dispersent pas. C'est pourquoi, si on ne veut! pas être un politicien idéologique ou utopique, mais si on veut se placer sur un terrain pratique et est conscient que dans la vie politique, quelque chose est seulement à obtenir avec des groupes cohérents d'humains, c'est pourquoi on n'a pas du tout intérêt à diviser/éclater les partis. Nous ferions la chose la plus stupide que nous puissions faire si nous voulions diviser les partis, ou même fonder un nouveau parti. Nous ne pourrions pas faire quelque chose de plus stupide. Donc, ce n'est vraiment pas du tout ce dont il s'agit."[3]

Rudolf Steiner a traité les partis comme une réalité donnée. Avec le mouvement de tri-articulation, il se distancie explicitement du système des partis et cherche une nouvelle forme pour que celui-ci devienne efficace :

"Par conséquent, personne ne doit craindre qu'un nouveau parti rejoigne les anciens. C'est pourquoi un nouveau parti n'a pas été fondé, mais le Bund für Dreigliederung des sozialen Organismus (Fédération pour la tri-articulation de l'organisme social) s'est uni afin de représenter les idées de l'organisme tri-articulé - dont le caractère non pas utopique, mais dont le caractère réel est néanmoins perçu par un certain nombre d'humains - afin de représenter ces idées" [4].

Rudolf Steiner a créé un "Bund" (NDT : entre "union", "fédération" voire "ligue", je n'ai toujours pas trouvé ce que serait la traduction adéquate) et non un "Parti" pour appeler la tri-articulation à la vie, pour représenter les idées de la tri-articulation. Cette différence est aussi reprise explicitement dans la description des objectifs du Bund :

"Le Bund n'est pas et ne veut pas être un parti. Il ne se présente donc pas au public avec un programme fini dans lequel tous les détails d'une réorganisation sont fixés une fois pour toutes. Elle veut transmettre une impulsion dans laquelle les conditions de développement de l'humanité nouvelle sont exprimées et expliquées sous la forme d'une idée de base, à partir de laquelle les détails peuvent émerger conformément à la vie comme un effet de cette impulsion."[5]

La différence essentielle est qu'il ne s'agit pas de représenter un programme, mais une impulsion. Cela a aussi des conséquences sur l'aspect organisationnel. Les partis représentent généralement des programmes de parti. Cependant, la tri-articulation n'est pas un programme, elle ne peut être réduite à des points déterminés de programme qui peuvent être mis en œuvre. Elle veut être vécue. Pour cela, elle doit devenir une impulsion reprise par un nombre suffisamment important d'humains.

Avec cela, un coup d'œil peut de nouveau être jeté sur le parti "dieBasis". Parviendra-t-il à représenter l'impulsion de tri-articulation ? Ou en fera-t-il un programme ? Si l'on regarde le point 1.1 du programme, on remarque qu'une impulsion est représentée en ce qui concerne le démêlage de la vie de l'esprit de l'État : la vie spirituelle doit être libre ! S’il parvenait à faire valoir cette demande de manière cohérente au cours des prochaines années, cela pourrait certainement avoir un effet positif.

Cependant, si l'on va plus loin dans le programme-cadre, on trouve au point 2.1 la demande d'un soutien et d'un financement par l'État d'un système culturel libre : " Nous préconisons un financement public suffisant des activités artistiques et culturelles ainsi que des manifestations sportives publiques en Allemagne ". Mais comment cela devrait-il aller ? Un financement public doit s'accompagner de critères quant à promouvoir quelle vie culturelle. Cela mène tout seul à une vie de l'esprit programmatique et non libre, patronnée par la vie de l'état !

La demande du parti "dieBasis" est également incohérente en ce qui concerne le désenchevêtrement de la vie économique et de la vie étatique. L'État doit fournir des "incitations fiscales" pour une économie orientée vers le bien commun social et écologique. Mais quelles entreprises vont bénéficier concrètement de ces subventions publiques ? Quels critères seront appliqués ? Une chose est claire : cette approche ouvre porte et portail au lobbying économique !

De manière démocratique et de la base, le programme-cadre doit maintenant être développé et affiné avec les membres, comme annoncé sur la page web, lors de la première conférence fédérale du parti par tous les membres. Reste à savoir combien d'impulsions et combien de programmes seront disponibles par la suite. Cependant, on peut supposer que le nombre de membres qui ont aujourd'hui une compréhension de l'impulsion de tri-articulation sera une nette minorité, c'est pourquoi le programmatique sera élargi et l'impulsion à la tri-articulation viendra à l'arrêt.

Toutefois, ce constat sobre n'a en aucun cas la permission d'être interprété comme signifiant que les "anthroposophes et tri-articuleurs" ne doivent pas s'engager politiquement. Rudolf Steiner lui-même considérait son travail pendant la Première Guerre mondiale comme un engagement politique. Cela apparaît clairement dans une conversation entre Rudolf Steiner, Emil Molt, Hans Kühn et Roman Boos du 25 janvier 1919.

Dans cette conversation, Emil Molt suggère à Steiner de rédiger un écrit pour la tri-articulation, qui serait ensuite diffusé :

Emil Molt : J'aimerais suggérer au Dr Steiner de rédiger un document que nous pourrions tous signer. Et ne serait-il pas possible de fonder une Fédération séparée où Rudolf Steiner pourrait apparaître directement et présenter ses idées ?

Rudolf Steiner : Il faudrait qu'il y ait un certain soutien [organisationnel] [si je devais apparaître].

Emil Molt : La Société anthroposophique n'est pas appropriée pour cela - après tout, elle n'est pas censée s'occuper de politique.

Rudolf Steiner : Pourquoi ? Qui l'a dit ?

Roman Boos, Hans Kühn, Emil Molt (unanimité) : Le projet de statuts.

Rudolf Steiner : Ce "Projet de principes d'une société anthroposophique" date tout de même de 1912 et a de plus été éteint depuis longtemps par la guerre. La Société anthroposophique peut tranquillement s'occuper de politique. Après tout, je parle toujours de politique [6].

La question se pose de savoir dans quelle mesure l'affirmation, se référant à la situation de l'époque, selon laquelle la "Société anthroposophique" en tant que telle devrait tranquillement s'occuper de politique, vaut aussi aujourd'hui. En raison du désaccord de nombreux anthroposophes sur les thèmes de tri-articulation, qui témoigne de l'absence d'une base de connaissance commune, on peut supposer que cela ne peut valoir aujourd'hui. Ce qui ressort cependant clairement de cette conversation, c'est que Rudolf Steiner considère certainement que le mouvement anthroposophique et ses représentants ont la possibilité d'œuvrer pour l'humanité aussi dans la vie politique.

Dans nos habitudes de pensée, le travail politique est souvent lié à la politique des partis. Toutefois, cela ne doit pas nécessairement être le cas. Chaque individu peut devenir politiquement efficace en vertu de sa personnalité. Rudolf Steiner voyait toutefois le "Bund für Dreigliederung" (Union pour la tri-articulation), fondé pour diffuser l'idée de tri-articulation, comme appartenant à la sphère politique :

"Il est nécessaire de considérer ce qui se passe ici à Stuttgart dans son ensemble. La Société anthroposophique constitue, avec l'École Waldorf, la partie spirituelle de l'organisme social tri-articulé. La Fédération pour la tri-articulation doit être une partie politique ; les enseignants Waldorf doivent y contribuer par leurs conseils. Le "Jour qui vient" serait la partie économique dans le tout." [7]

Explicitement, il a aussi indiqué en mars 1920 que la réalisation de la tri-articulation nécessite une participation directe à la vie politique :

"La chose en principe correcte, pensée de manière cohérente dans le sens de la tri-articulation, serait : de participer aux élections, de laisser élire le plus grand nombre possible que possible, d'entrer au parlement et de faire de l'obstruction sur toutes les questions relatives à la vie de l'esprit et à la vie de l'économie. Cela serait cohérent avec l'idée de tri-articulation. Il s'agit de démembrer la partie du milieu, la vie de l'État. Cela peut seulement être sorti si l'autre est jeté à gauche et à droite. Cela on ne peut faire autrement qu'en se laissant réellement élire, entre et fait obstruction à tout ce qui se négocie et se décide dans le domaine de la vie de l'esprit et de l'économie. " [8]

Ces points de vue peuvent peut-être aider à répondre à la question de comment on peut œuvrer pour la tri-articulation aujourd'hui. Il n'est pas possible de répondre catégoriquement par l'affirmative ou la négative à la question de savoir si un parti pour le tri-articulation est possible. D'un point de vue nominal, cela ne fait aucune différence que l'on fonde un parti ou une alliance (encore pour "Bund"). Ce qui est décisif, c'est que la tri-articulation ne soit pas faite programme, mais est représenté comme une impulsion qui peut être saisie et vécue par les humains. Cette dernière n'est en aucun cas une tâche intellectuellement confortable, mais exige une participation active aux événements contemporains et la représentation de l'idée de tri-articulation avec l'engagement de toute la personnalité.

Société de promotion de la démocratie en Suisse

Une tentative de représentation de l'impulsion de tri-articulation en Suisse doit être faite avec la "Société de promotion de la démocratie suisse". Les principes directeurs sur lesquels repose la Société de promotion ne visent pas à décrire un programme, mais à caractériser l'impulsion sur la base de laquelle les membres du Collège d'initiative souhaitent devenir efficaces dans la sphère publique. Les membres de la Société peuvent aider en prenant eux-mêmes l'initiative ou en soutenant le collège d'initiative dans ses activités. Si, dans un avenir prévisible, une base d'adhérents suffisamment importante se constitue, on peut envisager de participer aux élections afin d'obtenir des représentants de l'impulsion de tri-articulation dans les parlements. Ces représentants ne seront alors pas liés à un programme de parti, mais pourront travailler en toute indépendance au sein du parlement sur la base de leur connaissance de la tri-articulation et de leur sentiment du droit.

Cependant, il sera décisif que l'impulsion de tri-articulation soit reprise et vécue par le plus grand nombre d'humains possible. En effet, par l'efficacité politique, il sera possible de créer des espaces libres pour l'auto-administration dans la vie spirituelle et dans la vie économique. Toutefois, si l'auto-administration dans les domaines concernés ne remplace pas l'administration étatique actuelle, rien ne pourra être atteint dans le politique.

Plus d'informations sur la société de promotion de la démocratie en Suisse : www.demokratie-schweiz.ch

Notes

1] Rudolf Steiner, 30.07.1919, Stuttgart, GA 330

[2] https://diebasis-partei.de/partei/rahmenprogramm/ (consulté le 10 mars 2021)

3] Rudolf Steiner, 14.06.1919, GA 331.

4] Rudolf Steiner, 30.07.1919, GA 330

5] Dans : " Dreigliederungszeit ", Hans Kühn, Maison d'édition philosophique-anthroposophique, p. 211.

6] Dans : Motive n° 5 mai 2020, p. 52/53.

7] Rudolf Steiner, 22.11.1920, Stuttgart, GA 300a.

8] Rudolf Steiner, 03.03.1920, GA 337a