Économie – qu’est-ce qui t’est valeur ?

Il y a cent ans, Rudolf Steiner tenait ses conférences d'économie nationale et y esquissait une formation des prix qui ne s'orienterait pas uniquement par l'offre et la demande, mais aussi par l'humain au travail.

09.07.2022

15/05/2022, trad. F. Germani v. 01 09/07/2022

Source
D'abord paru dans la revue "Das Goetheanum"
Version longue dans le livre Commentaires sur l'économie et la religion
Note bibliographique

En 1922, Rudolf Steiner tente, dans 20 conférences sur l'économie nationale ('Cours d'économie nationale' et 'Séminaire d'économie nationale'), d'apporter une position indépendante et nouvelle sur les concepts et les questions fondamentales de l'économie dans un sens fondamentaliste. Il n'adopte pas une approche définitionnelle, mathématique ou statistique comme c'est habituellement le cas dans les sciences spécialisées. Il utilise cependant les termes économiques usuels de l'époque et les interprète dans un contexte scientifique spirituel. Les notions sont transmises au moyen d'images, elles sont utilisées dans leur contexte respectif. Ainsi, il n'y a pas de capital, mais du capital commercial, du capital de prêt ou du capital industriel. Il faut également faire la distinction entre le travail physique et le travail intellectuel, car ils se situent différemment dans le processus d'économie de peuple. La propriété de la terre doit être considérée différemment de la propriété des moyens de production d'après l'économie de peuple. L'agriculture n'a pas permission e d'être soumise/subordonnée à la logique industrielle, car elle est liée à la nature vivante, et l'industrie à la machine morte. Le fait que le capitalisme nous oblige à penser en termes d'économie mondiale est d'une grande importance pour Steiner.

Steiner se démarque de la théorie marxiste de la valeur travail. Elle négligerait les potentialités spirituelles indépendantes de l'humain dans l'économie et considère le marché comme un mécanisme. Selon Steiner, ce qui compte au contraire, c'est la manière dont le travail s'insère dans le processus de l'économie de peuple. Contrairement à Marx, il considère l'esprit comme créateur de valeur. Formation de valeur lorsque nous dirigeons ce travail par l'esprit, par l'intelligence. Là où le travail se trouve à l'arrière-plan et où l'esprit dirige le travail, le travail nous apparaît à travers l'esprit et produit à nouveau de la valeur d'économie de peuple.

Selon Steiner, on n'a pas la permission de considérer la question sociale isolément. Elle est un défi spirituel et des questions juridiques ou politiques se posent toujours de nouveau aussi. L'intégration/l'enmembrement/l'articulation du travail est seulement possible par l'émergence/l'apparition du droit. Tant que la vie religieuse domine, l'égoïsme ne fait pas de mal. Lorsque le droit et le travail se distinguent, l'égoïsme se développe aussi et il y a une exigence d'égalité et de démocratie. Avec l'égoïsme apparaît aussi la division du travail. La division du travail signifie que personne qui produit des marchandises ne les utilise aussi. Selon Steiner, le libéralisme (Adam Smith) n'était pas en mesure de déterminer de manière adéquate le rapport entre l'égoïsme et la division du travail. Le marxisme avait ainsi une porte d'entrée pour ses polémiques émotionnelles.

Associations

Steiner a introduit la notion d'associations de manière centrale pour l'économie. Elles devraient permettre d'introduire la raison synthétique dans le processus économique. Le libéralisme voit dans le processus de marché un mécanisme d'évaluation objectif et anonyme des prix. L'individu ne peut pas les manipuler. Les associations de Steiner sont à l'opposé d'un processus de marché anonyme ou d'une loi de la valeur destructrice. Les membres de l'économie eux-mêmes devraient introduire de la raison synthétique et de la justice dans chaque acte d'échange. En ce sens, l'association est aussi une instance d'éducation. Les participants doivent réprimer leur égoïsme et leur vanité et s'efforcer de porter des jugements économiques professionnels.

Pour Steiner, la question de départ est la suivante : quel est le prix correct (équitable) ? Le libéralisme et le marxisme ne connaissent plus cette question de justice héritée du Moyen-Âge. Selon Steiner, le prix doit être suffisamment élevé pour que les travailleurs puissent créer un nouveau produit pour eux-mêmes et leurs proches à l'avenir. Cette formule est exhaustive pour Steiner, car elle porte en elle toutes les informations. Mais comment réaliser cette formule, c'est la tâche des personnes concernées. Le paiement du travail pour l'avenir est tout à fait essentiel dans cette formule. L'économie consiste à mettre en œuvre les processus futurs avec ce qui est passé : nature-travail-capital ou nature-travail-esprit. Le libéralisme ne connaît ici que le présent, le prix actuel. Le marxisme ne voit de toute façon aucun avenir dans le capitalisme. L'économie politique romantique (Adam Müller) et l'école historique (Friedrich List, Gustav Schmoller) ont certes une pensée rétrograde, mais sur certains points, elles ont absolument l'avenir à l'œil.

Trouver des prix

L'économie traditionnelle ne connaît qu'une seule formule de prix. L'offre et la demande déterminent le prix. Steiner plaide ici aussi pour une approche différenciée et démontre trois équations. Selon Smith, le prix se règle de lui-même par l'offre et la demande. Selon Steiner, on ne peut rien faire dans la réalité avec ces concepts. En revanche, on a besoin de termes mobiles. L'offre de marchandises est une demande d'argent. L'offre d'argent est une demande de marchandises.

Il existe trois formules de prix, mais aussi trois concepts d'argent : l'argent d'achat, l'argent de prêt et l'argent de donation. Quel est l'argent le plus productif ? Pour Steiner, il est clair que l'argent de donation est le plus productif, car l'esprit humain crée constamment des inventions et de nouveaux procédés.

Selon Steiner, le travail de la terre est la condition préalable à l'activité économique. Ceux qui travaillent dans l'esprit vivent de ceux qui travaillent à la main. Comment valorisons-nous le travail de l'esprit ? La valeur du travail spirituel est aussi grande que le travail physique qu'il permet d'économiser. Il s'agit d'une division du travail qui fonctionne, de prix équitables et d'un argent dépouillé de sa mystification. Considérer l'argent comme un problème purement arithmétique peut être considéré comme une thèse opposée à la conception marxiste de l'argent. Pour Marx, l'argent est une marchandise ensorcelée. Le voile de l'argent est démasqué lorsqu'on reconnaît qu'il est destiné à dissimuler les rapports d'exploitation. Chez Steiner, le fétiche de l'argent tombe lorsqu'on regarde derrière les différentes formules de prix.

Un façonnement conscient

Steiner renoue avec les idées libérales du libéralisme, réactive le concept d'organisme du romantisme, anoblit le travail agricole et manuel et voit dans les prestations spirituelles des humains la source d'inspiration pour l'économie et la vie en général. La vie libre de l'esprit signifie plus que le libéralisme avec sa liberté économique et d'opinion. C'est le plaidoyer pour une nouvelle méthode scientifique qui met au jour les choses dans leur vrai sens à tous les niveaux. Les conférences sur l'économie nationale devraient être la preuve d'une nouvelle science de l'esprit qui se soucie des choses élémentaires de la vie comme le travail, la valeur, le salaire, l'intérêt et la propriété.

L'économie libérale place au point central l'égoïsme de l'individu et les marchés parfaits. L'école romantique se fonde sur une vision holistique et divine de l'humain et du monde. Pour Friedrich List, une économie nationale et la doctrine des forces productives constituent le pivot de ses réflexions. Le marxisme y a opposé sa théorie perspicace du travail et de l'exploitation. L'école historique a répondu sur cette base par des réformes sociales étatiques, qui ont conduit au 20e siècle à l'État-providence grâce à Keynes. Rudolf Steiner a étonnamment consacré une grande partie de son analyse dans les conférences d'économie nationale à la question des prix : L'organisation consciente de prix équitables dans l'économie mondiale était sa proposition de solution en 1922. Pour ce faire, Steiner part du concept d'organisme social. Cette notion 'romantique' est pensée de manière polaire. D'une part, il met l'accent sur le social (la société) et, d'autre part, sur le naturel et le surnaturel. Il s'agit d'un arc de tension qu'il convient de maintenir en vie et de faire fleurir.

Au 19e siècle, une lutte théorique acharnée a eu lieu dans la théorie économique entre le libéralisme, l'historicisme et le marxisme. Il s'agissait de savoir ce qui définissait la valeur et le prix des marchandises et du travail ? La théorie de l'utilité marginale a formulé une théorie subjective de la valeur et du prix et a capitulé devant ce problème en rejetant une théorie objective de la valeur et en la remplaçant par une théorie subjective du prix. Le prix est déterminé par l'offre et la demande. En outre, on affirmait que la terre, le travail et le capital étaient productifs et exigeaient une rémunération : la rente foncière, le salaire et l'intérêt. On ne pouvait plus répondre à la question de savoir qui déterminait l'offre et la demande. Le marxisme affirmait qu'il n'y avait qu'une seule théorie objective de la valeur. Seul le travail est créateur de valeur. Le marxisme ne pouvait donc pas saisir les aspects subjectifs du problème et accusait l'économie d'être une société d'exploitation, car les travailleurs devaient partager les revenus avec les propriétaires fonciers et les entrepreneurs. Cela serait injuste/incorrect.

Les conférences de Rudolf Steiner sur l'économie de peuple se plaçaient entre toutes les chaises. Il accentuait aussi bien l'aspect subjectif qu'objectif et postulait une séparation du travail et du revenu. Grâce aux catégories du travail spirituel et de l'argent de donation, il a pu élargir la science économique spécialisée de l'époque et ainsi indiquer une direction pour résoudre la question épineuse : quelle est la nature de la valeur et du prix ? Comment les déterminer scientifiquement ?

Comme on le sait, le 20e siècle a vu les esprits se diviser entre le libéralisme et le marxisme sur ces questions théoriques d'apparence si anodine, et des révolutions et des guerres se sont développées avec d'innombrables morts. Le long de cette ligne de démarcation. Les divergences théoriques se sont transformées en sérieux sanglant : guerres froides et guerres chaudes. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les conférences économiques de 1922 de Rudolf Steiner. Il a certes résolu de manière méritoire le problème de la valeur et des prix sur le plan théorique, mais la mise en œuvre pratique à l'échelle de la société reste, espérons-le, à venir.

Littérature

List, Friedrich : Das nationale System der Politischen Ökonomie, Gesammelte Werke (le système national de l'économie politique, œuvres collectionnées), éd. Artur Sommer, vol. VI, Berlin 1930

Schmoller, Gustav : Grundriß der Allgemeinen Volkswirtschaftslehre (esquisse d'une théorie générale d'économie de peuple), Première partie, Leipzig 1920

Steiner, Rudolf : Cours d'économie nationale. Quatorze conférences pour les étudiants en économie nationale 1922 a, Dornach 1965

Steiner, Rudolf : Nationalökonomisches Seminar, Dornach 1922 b

Woll, Helmut : Menschenbilder in der Ökonomie (Images d'humain dans l'économie), Munich 1994

Woll, Helmut : Commentaires sur l'économie et la religion, Norderstedt 2021